La junte militaire qui dirige la Birmanie n'a pas la réputation d'être particulièrement transparente : en mai dernier, après le cyclone Nargis, le régime avait mis trois semaines avant d'ouvrir ses portes à l'aide internationale. C'est donc avec étonnement, hier matin, que 30 diplomates et 10 journalistes ont appris qu'ils étaient autorisés à assister au procès de la lauréate du prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi.

La dissidente politique la plus célèbre du pays a comparu pour la troisième journée consécutive devant un tribunal de la prison d'Insein. C'est dans cette prison, située au nord de Rangoon, que la secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie est détenue depuis jeudi dernier. La dictature militaire l'accuse d'avoir violé ses conditions de détention en hébergeant un Américain pour la nuit. Ce dernier, John Yettaw, un mormon de 53 ans, vétéran de la guerre du Vietnam, est arrivé à la nage chez la célèbre dissidente politique et y serait entré sans invitation. Si elle est reconnue coupable, la Birmane de 63 ans pourrait être condamnée à cinq ans de prison.

 

La privation de liberté n'a rien de nouveau pour celle qui incarne la résistance non violente à la dictature militaire : au cours des 19 dernières années, elle a été en prison ou assignée à résidence pendant 13 ans. Un grand nombre de Birmans attendaient d'ailleurs avec impatience sa libération prévue le 27 mai et son retour dans la course aux prochaines élections, prévues pour 2010.

La communauté internationale, qui menace d'imposer de nouvelles sanctions à la junte militaire, ainsi que les organisations de défense des droits humains ne manquent pas de faire un recoupement entre la mise en liberté annoncée de l'opposante politique et les nouvelles accusations portées contre elle. «Ce procès intenté à cette femme de 63 ans, ne disposant d'aucune armée, démontre que le régime birman a très peur, qu'il est très paranoïaque et qu'il ne pense qu'à assurer sa survie. C'est un régime qui se sent menacé depuis qu'il a pris le pouvoir en 1990 et qui n'a pas le soutien populaire», a dit hier à La Presse Michael Wodzicky, directeur adjoint des programmes à l'organisation Droits et démocratie.

Selon lui, l'ouverture du procès à une poignée d'observateurs étrangers n'est que poudre aux yeux et ne démontre en rien l'ouverture de la dictature militaire, qui détient toujours dans ses geôles plus de 2100 prisonniers politiques. Depuis la dure répression de moines bouddhistes qui ont manifesté contre la hausse du prix du riz en septembre 2007, les mouvements de dissidence doivent travailler sous les radars de l'État.

Malgré la situation tendue, l'opposition birmane ne semble pas avoir dit son dernier mot. Des sites de nouvelles indépendants rapportent depuis le début de la semaine que des centaines de partisans d'Aung San Suu Kyi manifestent pacifiquement devant la prison d'Insein où ils sont surveillés par des centaines de gardes de sécurité.

Le cyclone de la colère

La détention de la dissidente politique la plus en vue de la Birmanie n'est pas la seule cause de mécontentement de la population birmane. Un an après le passage du cyclone Nargis, qui a tué 140 000 personnes et déraciné 800 000 autres, les retards dans les travaux de reconstruction agacent la population. Selon les estimations d'organisations humanitaires, plus de 350 000 personnes vivent encore sous de simples toiles goudronnées.

Les organismes sur le terrain redoublent d'ardeur ces jours-ci. «À l'approche de la mousson, le logement est la priorité, note Brian Agland, directeur de l'exploitation de Care en Birmanie. Nous essayons de construire des édifices communautaires qui pourront servir d'abri en cas de nouveau cyclone», expliquait-il hier en entrevue téléphonique. Car dans le delta de l'Irrawaddy, encore dévasté, on craint tout autant le ciel que la junte militaire.

 

BIRMANIE

Nom choisi par la junte militaire : Myanmar

Système politique: junte militaire

Capitale (administrative) : Nay Pyi Taw

Métropole : Rangoon

Population: 48,1 millions

Religions : bouddhisme (89%) ; christianisme (4%); islam (4%)

*source : CIA World Factbook