«Tout le monde parle de ça. C'est terrible. Dans les forums de lecteurs, à la radio en direct. Même mon marchand de journaux m'en a parlé tout à l'heure...» explique l'auteure féministe française Florence Montreynaud, au bout du fil.

«Ça», c'est la décision de Rachida Dati, la ministre de la Justice et garde des sceaux, de revenir au travail cinq jours après avoir accouché par césarienn de son premier enfant.

 

Cinq jours.

Césarienne vendredi, au bureau mercredi, avec arrivée au travail en talons hauts et en tailleur devant les photographes, armée d'un dossier, les cheveux parfaitement coiffés, le rouge à lèvres bien en place, avec un grand sourire qui avait l'air de dire: «ça vous surprend?»

Eh bien oui, tout le monde a été surpris.

Ceux et celles qui trouvent qu'elle aurait dû rester à la maison pour s'occuper de son bébé, l'allaiter, se reposer, laisser guérir les marques de l'opération.

Ceux et celles qui trouvent indélicat d'exhiber ainsi son privilège de pouvoir penser d'abord et avant tout à elle, en laissant à d'autres lessives et changements de couches.

Enfin, son attitude a surpris ceux et celles qui, comme Mme Montreynaud, trouvent que, lorsqu'on est ministre du gouvernement, on a la responsabilité de ne pas ainsi faire fi d'une institution aussi durement arrachée, graduellement, depuis 1905, que le congé de maternité.

«Ce qu'elle a fait est culpabilisant pour les autres femmes», affirme Mme Montreynaud, selon qui on ne peut qu'y voir un message de non-respect pour toutes celles qui sont «un petit peu fatiguées» après avoir accouché et réclament, à juste titre, le droit de se reposer en paix à la maison avec leur nouvel enfant.

Selon l'historienne, on a l'impression de faire un retour aux années 20, quand les ouvrières accouchaient à l'usine... «Elle bafoue une importante conquête sociale.»

Francine Descarries, sociologue féministe québécoise, est un peu plus indulgente envers la ministre française. Elle admet que le message envoyé pourrait être mal perçu par ceux qui sont prêts à remettre en question la légitimité des congés parentaux. Mais en même temps, dit-elle, «des exceptions, ça existe».

Et la situation de Mme Dati est particulière. Elle a d'importantes responsabilités et elle a les ressources financières, physiques et personnelles pour se permettre ce choix.

La sociologue remarque que se rendre à une réunion du conseil des ministres pendant qu'on a confié le bébé à d'autres, ce n'est pas comme avoir à prendre soin d'un nourrisson à la maison tout en s'occupant d'autres enfants, après avoir déglacé l'auto et fait le ménage, une situation où le travail professionnel devient impensable. «Et puis, comme bien des femmes de carrière quand elles partent en congé de maternité, elle sent sa place menacée.»

La carrière politique de Mme Dati ne se porte effectivement pas particulièrement bien - elle est très contestée dans le monde juridique, notamment - et on peut aisément penser qu'elle craigne un remaniement ministériel qui l'enverrait dans un ministère beaucoup moins prestigieux. Confirmer sa présence à la garde des sceaux est probablement une façon pour elle d'envoyer un message à ceux qui veulent sa tête et du même coup de montrer à son patron, Nicolas Sarkozy - qui l'a d'ailleurs accueillie au travail, à bras ouverts -, que la maternité ne diminue en rien ses capacités ministérielles et son dévouement.

Un nouveau père, dans la même situation, n'aurait pas hésité une seconde à rentrer au boulot au plus vite et personne ne l'aurait accusé de manquer à ses responsabilités paternelles.

Doit-on donc être contre ou pour la décision de Mme Dati? Trouver qu'elle donne un exemple terrifiant? Respecter son choix et accepter qu'il ne soit peut-être pas le nôtre?

Ou rêver d'un monde où le président et les autres membres de son gouvernement prendraient fermement position en faveur des congés parentaux et de leur importance économique et sociale, en disant à la ministre qu'elle n'a rien à prouver, qu'elle peut laisser ses inquiétudes politiques de côté et qu'elle peut rester à la maison se reposer sans crainte, le temps qu'il faudra?