Il y a eu les émeutes contre la hausse du prix du pain en Égypte, la révolte de la tortilla au Mexique, les protestations de la faim en Haïti, en Côte-d'Ivoire et aux Philippines. Et maintenant? Neuf mois après l'explosion d'une crise qui a eu des répercussions sur toute la planète, 963 millions de personnes souffrent toujours de la faim. Due à une combinaisonde facteurs-sécheresses, spéculation, production massive de biocarburants-la crise frappe plus cruellement les pays pauvres, où elle est accentuée par la corruption et les guerres. Même si une nouvelle crise, financière cette fois, a propulsé les cours des aliments à la baisse, la planète comptera bientôt un milliard de ventres creux.

Des journalistes de La Presse ont voyagé au cours des derniers mois sur trois continents pour cerner les causes et l'impact de ce fléau qui ne cesse de s'accentuer.

 

Quelles sont les principales causes de la crise alimentaire ? La Presse s'est entretenue avec le nouveau rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, le juriste belge Olivier de Schutter.

Q: Quel a été l'impact de la récente débâcle boursière sur les prix alimentaires ? Quand les Bourses s'effondrent, le prix des aliments baisse-t-il en conséquence?

R Les prix des denrées de base ont baissé de façon significative depuis le mois de juin. Par exemple, le cours d'une tonne de riz est passé de 1200$ à 700$ en cinq mois. Mais une récente étude de la Banque mondiale démontre que la chute de la valeur des denrées alimentaires n'a pas conduit à une baisse équivalente des prix dans les supermarchés. Les prix des marchés intérieurs ne suivent pas les cours des marchés internationaux. Et la baisse des prix ne s'est donc pas répercutée jusqu'aux consommateurs.

Q: Comment expliquer ce phénomène ?

R Les marchés restent très volatils. Et tous s'attendent à de nouvelles hausses. Les distributeurs alimentaires se basent sur le fait que dans les prochains 10 ou 12 ans, le coût des aliments restera structurellement plus haut qu'il ne l'était dans les années 90. Dans l'appréhension d'une nouvelle hausse, ils maintiennent leurs prix élevés.

Q: La crise financière n'a-t-elle donc aucun impact sur la situation alimentaire ?

R Globalement , elle a une double influence, positive et négative. À la fin du printemps, les pays donateurs s'étaient entendus pour accentuer l'aide publique aux pays en développement, en augmentant les investissements privés et en essayant de relancer l'agriculture, qui avait longtemps été laissée pour compte. Ça prenait beaucoup d'argent. Avec la crise financière, les États risquent d'être de moins en moins prêts à aider. En revanche, depuis le printemps dernier, on a compris qu'il était nécessaire de mieux réguler les marchés agricoles. Avec la crise boursière, ce discours devient de plus en plus audible, on comprend mieux que les gouvernements ont un rôle à jouer dans la régulation des marchés.

Q: La hausse des prix alimentaires est-elle nécessairement néfaste? Ne profite-t-elle pas aux paysans dont la production prend de la valeur ?

R La moitié du milliard de personnes qui souffrent de la faim sur la planète sont de petits paysans qui ne parviennent pas à vivre des fruits de leurs récoltes! Ils exploitent des terres de moins de deux hectares et vendent leurs récoltes à des acheteurs qui leur dictent les prix. Ces paysans n'ont aucun pouvoir de négociation. Quand les prix sont trop bas, ils ne gagnent plus assez pour vivre. Mais leurs bénéfices n'augmentent pas quand les prix montent.

Q: Votre prédécesseur Jean Ziegler avait dit que la production d'agrocarburants, comme le bioéthanol fabriqué à partir de blé ou de maïs, constitue un «crime contre l'humanité» parce qu'elle contribue à la hausse des prix alimentaires. Partagez-vous son indignation?

R Je ne suis pas certain que Jean Ziegler dirait la même chose aujourd'hui. Et j'ai moi-même une vision plus nuancée des biocarburants. Produits par de petits producteurs dans les pays en voie de développement, ils peuvent contribuer à l'indépendance énergétique de ces pays. Mais aujourd'hui, en Amérique du Nord et en Europe, on donne des subsides publics à de grands exploitants qui sont ceux qui en ont le moins besoin! Cette production massive contribue à la hausse des prix.

Q: Le nombre et la proportion d'affamés ne cessent d'augmenter. Pourquoi ?

R On traite souvent le problème comme s'il était dû à un volume insuffisant de production. Et que la solution consistait à produire plus de nourriture. Mais c'est comme si on voulait éliminer le problème de la faim à New York en doublant le nombre de supermarchés, sans se soucier des gens qui n'ont pas les moyens d'y acheter la nourriture! C'est absurde. Le vrai problème, ce sont les gouvernements qui ne font rien pour augmenter le pouvoir d'achat des plus pauvres. Regardez l'Inde. Ce pays exporte de la nourriture, alors que 231 millions de personnes y souffrent de la faim. Le problème est politique. Et sa solution passe par une distribution plus juste de la nourriture. Si les gouvernements concernés ne mettent pas en place des mesures pour protéger le droit à l'alimentation, nous allons perdre le combat contre la faim.

Q: Quels sont les pays qui vous inquiètent le plus en ce moment ?

R Haïti et la Corne de l'Afrique, où une catastrophe naturelle et un conflit civil ont accentué la crise. Malheureusement, on risque encore, dans les prochains mois, d'entendre parler de l'Éthiopie et de l'Érythrée...