La famille d'un enseignant français de 37 ans qui s'est enlevé la vie après avoir été injustement mis en cause par un de ses élèves presse la justice de faire toute la lumière sur l'affaire pour «rétablir son honneur».

Jean-Luc Bubert, qui enseignait la chimie dans un collège de Saint-Michel, en Picardie, s'est pendu dans la nuit du 17 au 18 septembre. Il avait été détenu pendant neuf heures durant la journée par la gendarmerie.

 

Un élève de 15 ans avait porté plainte le jour précédent contre l'enseignant, l'accusant de lui avoir brisé une dent en lui donnant un coup de poing au visage. Il présente à l'appui de ses dires un certificat médical.

M. Bubert, soutient-il, a perdu le contrôle lors d'une prise de bec découlant de son arrivée tardive à l'école.

La famille de l'enseignant rejette d'emblée la version de l'adolescent. Début octobre, l'avocat qui la représente, Francis Lec, évoque le blogue d'une élève de l'établissement qui accuse le jeune homme d'avoir inventé l'histoire pour se venger.

Une expertise permet de conclure que la dent évoquée comme preuve a été brisée plusieurs mois auparavant. Et que son visage ne portait aucune trace de lésion.

Interrogé par les autorités, il finit par reconnaître l'invention. Ce qui lui vaut aujourd'hui d'être mis en examen pour «dénonciation calomnieuse» devant un tribunal pour mineurs.

Le procureur chargé du dossier estime qu'il est «téméraire» pour autant de conclure que le suicide de l'enseignant découle de sa mise en cause par l'élève. Notamment parce qu'il était engagé dans une procédure de divorce.

La famille du défunt voit les choses d'un autre oeil. Elle relève que Jean-Luc Bubert semblait paisible la veille de son arrestation, ayant joué aux échecs jusqu'à une heure tardive, et que c'est bien son arrestation qui l'a plongé dans le désespoir.

Me Lec souligne en entrevue qu'il est «insupportable» de constater que les autorités cherchent des raisons pour éviter que le travail des policiers ou des représentants de la justice soit mis en cause.

L'arrestation rapide de l'enseignant et sa détention semblent particulièrement condamnables a posteriori, juge l'avocat, puisqu'une enquête sommaire aurait permis d'éviter l'embarras causé à l'enseignant. «Il y a d'autres manières de procéder que l'approche coup de poing dans laquelle on met la personne en garde à vue», souligne-t-il.

La famille de l'enseignant se demande notamment comment le médecin ayant signé le certificat médical a pu conclure que l'élève avait été brutalisé. Le père de l'adolescent ne pouvait pas ignorer par ailleurs que sa dent avait été cassée plusieurs mois plus tôt, dit Me Lec, qui s'attend à ce que l'homme soit lui aussi mis en cause par la justice

Témoignages d'enfants

L'avocat estime que le drame reflète le fait que le système judiciaire français «n'a pas tiré les leçons de l'affaire Outreau».

Sur la base des témoignages douteux de plusieurs enfants, une vingtaine de personnes avaient été traînées devant un tribunal en 2004 dans le nord du pays, soupçonnées d'avoir pris part à un réseau de pédophilie aux ramifications internationales. Six d'entre elles avaient été condamnées à des peines légères en première instance avant d'être totalement blanchies en appel.

Plusieurs recommandations avaient été faites par la suite par une commission d'enquête pour pouvoir mieux encadrer les témoignages d'enfants et éviter les dérapages. Elles n'ont «malheureusement pas été suivies» dans le cas de l'enquête sur Jean-Luc Bubert, déplore Me Lec, qui parle d'un «gâchis immense».