Journaliste pigiste, Amanda Lindhout connaît bien les périls du journalisme de guerre. Établie à Bagdad, la Canadienne de 27 ans doit tous les jours éviter le danger. Ce dernier l'a néanmoins rattrapée. Pas en Irak, mais en Somalie.

Depuis le mois d'août, la reporter originaire d'Alberta, un photographe australien, Nigel Brennan et leur guide somalien, sont otages d'un groupe de malfaiteurs. La Fédération internationale des journalistes tente par tous les moyens de les faire libérer: ils demandent même aux Canadiens d'origine somalienne de plaider leur cause auprès des ravisseurs. Les bandits, eux, ne veulent rien entendre: la semaine dernière, ils ont émis un avertissement. Soit on leur remet 2,5 millions$, soit les trois otages seront exécutés.

 

En Somalie, l'enlèvement des trois journalistes n'étonne pas. Ces temps-ci, il ne se passe pas une journée sans que le meurtre d'un politicien, d'un travailleur humanitaire, ou le détournement d'un navire ne fasse les manchettes.

Hier, Shamsul Bari, l'expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Somalie, nommé par les Nations unies, condamnait l'assassinat au début du mois de deux travailleurs humanitaires de l'ONU. Dans un communiqué de presse, M. Bari déplore le climat de «menaces constantes dans laquelle vivent les civils somaliens, les travailleurs humanitaires et les représentants des Nations unies». Il demande au gouvernement d'enquêter sur ces meurtres et de traduire en justice les responsables.

Pays en crise, besoins énormes

Dans la situation de chaos qui existe dans le pays d'Afrique de l'Est, identifier les bons et les méchants n'est pas un jeu d'enfant. Instable politiquement depuis 1991, la Somalie est en état de crise depuis maintenant 18 mois. Les troupes armées qui soutiennent le gouvernement provisoire, elles-mêmes soutenues par l'armée éthiopienne, sont en guerre ouverte avec des groupes armés fidèles à des groupes islamistes.

Malgré la présence de forces de maintien de la paix envoyées par l'Union africaine, les civils sont pris en sandwich entre les belligérants et fuient le danger le mieux qu'ils peuvent. Les Nations unies estiment à plus de 800 000 le nombre de personnes qui ont dû fuir leur domicile au cours de la dernière année et demie. La seule capitale de Mogadiscio a perdu la moitié de sa population.

Dans un énoncé commun rendu public le 7 octobre dernier, 52 organisations internationales, dont Oxfam et Save the Children ont sonné l'alarme. Elles estiment à 3,2 millions le nombre de civils somaliens qui ont immédiatement besoin d'aide. Or, disent-elles, les humanitaires sont incapables de faire leur travail sans l'aide de la grande communauté internationale. «La communauté internationale a laissé tombé la population somalienne», dénonce les organisations.

Jointe hier à Genève, Monica Rull, une des responsables de Médecins sans frontière Suisse, note que les besoins sont énormes dans le pays en crise où il y a en moyenne 4 médecins pour 100 000 habitants (il y en a 210 pour le même nombre au Canada). «Les gens fuient la violence du mieux qu'ils peuvent. Ils n'ont pas grand place où aller. L'accès à la santé et à l'eau potable sont deux grands défis», note-t-elle.

Maintenant que la saison des pluies a commencé, les quelque 500 employés somaliens de MSF (les étrangers sont tous à l'extérieur du pays) se préparent à faire face à des épidémies dans les camps de réfugiés archibondés. Le choléra y frappe presque annuellement. La malnutrition est l'autre fléau que craint MSF.

C'est précisément cette situation précaire que la journaliste Amanda Lindhout voulait observer quand elle a été enlevée cet été. Elle roulait sur la route qui sépare la capitale d'un camp de réfugiés quand ses ravisseurs ont fait irruption.