«Parler de mes expériences de prison en Iran me rappelle les horreurs de la torture, mais aussi les petits gestes chaleureux de mes codétenues et les visages souriants de jeunes femmes exécutées en pleine nuit ou qui se sont suicidées», avoue Shohreh Kia, les larmes aux yeux, la voix étouffée par des sanglots.

Le temps n'a pas estompé les souvenirs des prisons de la République islamique pour cette artiste de 48 ans qui vit à Vancouver avec sa famille.

 

Ces souvenirs hantent ses toiles, comme d'ailleurs celles de Soudabeh Ardavan, 50 ans, qui a refait sa vie en Suède, où elle peint et écrit. Un livre en farsi, traduit en suédois, s'intitule justement Souvenirs de prison.

Assises dans une petite salle de la galerie Mekic, au Plateau-Mont-Royal, où sont exposées leurs toiles et leurs broderies, elles racontent leur jeunesse à Téhéran, exaltée par la révolution qui emporta le chah en 1979 et asphyxiée par les islamistes dès 1981 parce qu'elles militaient avec des groupes laïques de gauche.

Anniversaire d'un massacre

Entassées avec d'autres détenues dans des salles et des couloirs étroits, isolées dans des cellules, fouettées et battues pour qu'elles «passent aux aveux» et «reviennent à l'islam», condamnées ensuite à des années de prison ferme, elles ont pu fuir l'Iran. Elles n'y sont pas retournées, mais elles continuent de rêver qu'il s'ouvrira un jour à tous les courants et à toutes les opinions politiques.

Jusqu'au 29 septembre l'exposition à la galerie Mekic rend hommage à ces résistantes pour le 20e anniversaire du massacre des détenus en Iran. La République islamique l'a toujours nié, mais les survivants et les familles des victimes estiment que de 8000 à 30 000 prisonniers furent exécutés à partir du 19 juillet 1988 jusqu'à au moins la fin de l'année.

«C'est un prêtre qui, par une nuit de fortes pluies, a vu des cadavres laissés à découvert au cimetière de Khavaran. Il l'a dit aux familles des disparus, qui y ont mis au jour d'immenses fosses communes», dit Soudabeh Ardavan.

«On ne réprime pas la vie. Le 1er mai, des familles se sont réunies au cimetière et elles ont chanté L'Internationale, au grand dam des gardiens de la révolution, enchaîne Shohreh Kia. J'ai toujours gardé espoir.»

»Violence sans précédent»

L'historien Ervand Abrahamian a décrit ces exécutions comme «un acte de violence sans précédent dans l'histoire de l'Iran». L'ordre secret d'exécution, dont le texte a depuis été publié, avait été donné par l'ayatollah Khomeiny.

«La guerre avec l'Irak tirait à sa fin. L'Iran avait perdu beaucoup de jeunes au front. Le régime redoutait que, si les détenus politiques étaient libérés, ils aient un grand impact politique sur la société», estiment Mmes Kia et Ardavan.

«Le régime savait aussi qu'il lui faudrait tendre la main à l'Occident après la guerre. Il redoutait que les Occidentaux ne fassent pression sur lui pour qu'il libère les détenus politiques. Il les a donc éliminés», ajoutent-elles.

Sur le thème «Cela ne doit plus se passer», les responsables ont organisé hier une soirée de musique et de poésie à l'UQAM. La commémoration se poursuit aujourd'hui et demain avec des causeries et des films, toujours à l'UQAM.