R: Depuis la Révolution orange, les élites ukrainiennes ont été incapables de s'entendre sur un partage de pouvoir entre l'appareil présidentiel et le cabinet du premier ministre. Il s'agit de la troisième crise de cette nature en trois ans. Mais cette fois, la première ministre Ioulia Timochenko cherche à éliminer tout pouvoir de la présidence, incarnée par Viktor Iouchtchenko.

La dissolution du gouvernement ukrainien, hier, a officialisé le divorce entre les deux héros de la «Révolution orange» de 2004, Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko. Du coup, le pays est entré dans une ère d'incertitude qui pourrait avoir des répercussions internationales. Pour mieux comprendre les enjeux de la crise, La Presse s'est entretenue avec Dominique Arel, titulaire de la chaire d'études ukrainiennes à l'Université d'Ottawa. Les propos ont été recueillis par Agnès Gruda.

Q: Techniquement, qu'est-ce qui a conduit à l'éclatement du gouvernement ukrainien?

R: Depuis la Révolution orange, les élites ukrainiennes ont été incapables de s'entendre sur un partage de pouvoir entre l'appareil présidentiel et le cabinet du premier ministre. Il s'agit de la troisième crise de cette nature en trois ans. Mais cette fois, la première ministre Ioulia Timochenko cherche à éliminer tout pouvoir de la présidence, incarnée par Viktor Iouchtchenko.

Q: Est-ce que cette crise a un lien avec ce qui s'est passé récemment en Géorgie?

R: Oui, dans la mesure où les tensions entre les deux chantres de la Révolution orange ont été exacerbées par leurs réactions face à la guerre en Géorgie. Iouchtchenko a dénoncé «l'occupation» russe en Géorgie et la présence de la flotte russe sur la mer Noire, en territoire ukrainien. De son côté, Timochenko s'est contentée de dire que la guerre entre la Russie et la Géorgie ne concerne pas l'Ukraine.

Q: L'Ukraine risque-t-elle d'éclater?

R: Ces divisions rendent le pays plus vulnérable aux pressions russes. Mais en même temps, la très grande majorité de la population, autant à l'Ouest qu'à l'Est, se considère «ukrainienne». Je ne pense pas que le pays puisse éclater. Mais il pourrait y avoir une recrudescence de sécessionnisme en Crimée, seul territoire en Ukraine où des Russes ethniques sont en majorité. C'est là que se trouve la flotte de la mer Noire. La Russie y distribue généreusement des passeports russes. La Crimée avait tenté de se séparer pacifiquement en 1994, mais à l'époque, le pouvoir russe manifestait de l'indifférence à son égard. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui.

Q: Est-ce que ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine peut avoir des répercussions internationales?

R: Bien entendu. Il est clair que la Russie perçoit l'existence de régimes où le pouvoir politique est contesté, tel en Géorgie et en Ukraine, comme une menace à sa sécurité. Dans ces conditions, la trajectoire politique de la Géorgie et de l'Ukraine constitue un test majeur dans l'après-guerre froide.

Q: Est-ce que l'enquête au sujet d'une possible implication d'Ioulia Timochenko dans l'empoisonnement dont avait été victime Viktor Iouchtchenko est fondée sur des motifs sérieux?

R: Non. Toutes ces enquêtes, dans l'Ukraine postsoviétique, sont utilisées à des fins partisanes et le bureau du procureur général continue d'être investi de pouvoirs incompatibles avec un État de droit. C'est la grande faiblesse de l'Ukraine post-orange. Et c'est aussi le modus operandi du régime actuel russe.