La population française continue, malgré les appels répétés des autorités sanitaires, de consommer des antidépresseurs et des anxiolytiques de manière immodérée.

Le phénomène inquiète 15 thérapeutes de renom, dont les psychiatres Boris Cyrulnik et David Servan-Schreiber, qui signent, dans le numéro de la rentrée de la revue Psychologies, un appel «contre l'abus» de médicaments psychotropes dans le pays.

«C'est un triste record. Nous consommons, en France, environ trois fois plus de tranquillisants et d'antidépresseurs que nos voisins européens. Et cette surconsommation augmente chaque année», préviennent les signataires.

«Il nous semble nécessaire et urgent d'alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur les dangers de cette surmédicalisation du mal-être», ajoutent-ils en insistant sur la nécessité de promouvoir l'usage de thérapies «non médicamenteuses» lorsque la chose est possible.

Serge Hefez, psychiatre à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, a aussi signé l'appel. Il estime que plusieurs facteurs expliquent «l'appétit» français pour les médicaments psychotropes en tout genre.

Paradoxalement, la qualité même du système de santé du pays, qui permet d'avoir accès très rapidement à un généraliste, contribue à la forte consommation de ces médicaments, croit-il.

«Le patient qui va voir le médecin s'attend à recevoir un traitement, à avoir une ordonnance. Il se dit même qu'il y a droit», souligne le spécialiste, qui relève dans la population française une «tendance au mécontentement et à l'insatisfaction plus importante» que dans les pays voisins.

Le recours aux antidépresseurs et autres psychotropes est aussi alléchant pour les généralistes -qui sont responsables de 80% des prescriptions- parce qu'il leur permet de répondre rapidement au malaise qu'expriment leurs patients sans passer trop de temps en consultation.

Il est aussi souvent plus facile pour eux de prescrire des médicaments que de diriger les personnes qui les consultent vers des services psychologiques qu'ils connaissent mal, relève M. Hefez, qui plaide pour une amélioration des connaissances des médecins généralistes dans ce domaine.

Déjà-vu

L'appel des 15 thérapeutes a des airs de déjà-vu puisque la question de la surconsommation médicale en France revient régulièrement sur le tapis.

En 2006, l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé a dressé un portrait alarmant de la situation dans un rapport "sur le bon usage des médicaments psychotropes".

Du début des années 80 jusqu'à 2004, les frais de médicaments remboursés par le gouvernement ont bondi de 450 millions de dollars à 1,5 milliard de dollars, indiquent les auteurs.

Bien que les personnes âgées soient les plus touchées, aucun segment de la population n'échappe au phénomène. Chez les jeunes, plus d'une fille sur quatre et plus d'un garçon sur cinq avaient déjà consommé des psychotropes avant l'âge de 18 ans.

Dans un sondage réalisé sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé il y a quelques années, un Français sur quatre disait avoir consommé des médicaments de ce type dans l'année qui venait de s'écouler.

Cette consommation ne signifie d'aucune façon que l'on observe en France une meilleure prise en charge des troubles de santé mentale, prévenait le rapport de l'office parlementaire. Tout au contraire, en fait.

La moitié des personnes qui consomment des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles qui prennent des produits anxiolytiques n'avaient pas de trouble psychiatrique justifiant l'usage de ces médicaments. Et moins du tiers des Français souffrant effectivement de dépression recevaient un traitement approprié.

Les spécialistes avaient aussi montré du doigt à l'époque les médecins généralistes, qui reçoivent selon eux une formation insuffisante "ou essentiellement assurée par l'industrie pharmaceutique" relativement aux psychotropes.

Ils préconisaient d'accroître la formation des praticiens pour limiter les ordonnances intempestives et de faciliter l'accès aux thérapies de rechange, en particulier la psychothérapie.

"À partir du moment où il n'y a pas de véritable dépression, une foule de réponses sont possibles", relève Serge Hefez.