Confrontée aux pires inondations en un demi-siècle dans le nord-est, l'Inde a du mal à lancer une opération massive de secours pour ses millions de sinistrés, à tel point que, pour la première fois, les autorités ont demandé une aide internationale.

«Sachant qu'il y a des catastrophes naturelles tous les ans et vu le peu d'organisation des secours, c'est à se demander si le concept d'urgence humanitaire existe en Inde», remarque Cyril Robin, chercheur associé du Centre de sciences humaines de New Delhi et spécialiste du Bihar.

Dans cet Etat pauvre, dont une partie grande comme Hong Kong est submergée depuis trois semaines, 900 000 personnes ont été secourues, parmi lesquelles le tiers s'entassent dans des camps.

Mais 100 000 sinistrés restent coupés du monde, pris au piège par ces inondations, sans rien à manger ni à boire.

A la mi-août, les pluies torrentielles de la mousson ont fait déborder un cours d'eau, la Kosi, à la frontière avec le Népal, et celle surnommée la «rivière du chagrin» s'est déversée dans le lit voisin d'un ancien fleuve asséché depuis des siècles, engloutissant des centaines de villages.

Plus de cent personnes sont mortes et trois millions ont été plus ou moins affectées. Un million sont toujours sans abri, selon les Nations unies. Ils sont «cinq fois plus», d'après l'organisation humanitaire Save the Children.

Ces gens survivent dans des conditions dramatiques, s'inquiètent les humanitaires qui ont pu se rendre dans des zones de l'est du Bihar difficiles d'accès. Des ONG étrangères, comme ActionAid, réclament ainsi une «mobilisation générale» et «l'accélération» des secours.

De fait, «les sauveteurs --des soldats pour la plupart-- sont débordés», constate M. Robin, soulignant que «l'Inde n'est pas réputée pour savoir gérer les choses de manière ordonnée».

C'est même «la honte de l'Inde!», s'insurgeait en Une ce week-end le quotidien Hindustan Times. «Le pays est dans le déni: trois semaines après les inondations, des millions sont sans-abri. Mais où sont les secours?», a fustigé le journal.

«La machine gouvernementale (du Bihar) et la population sont mobilisées jour et nuit», relativise Aditi Kapur, de l'ONG britannique Oxfam, même s'il est vrai que «des personnes attendent toujours de l'aide dans des régions isolées».

Car malgré les efforts des secouristes, bon nombre de rescapés se plaignent de la lenteur voire de l'absence des secours. «Des gens nous aident à titre privé, mais pas le gouvernement», résumait cette semaine un rescapé, Mithilesh Yadav.

Pourtant, l'Inde fait face à «sa plus grande calamité nationale de l'histoire récente», ont reconnu le gouvernement fédéral et l'armée.

Du coup, le Bihar a réclamé une aide internationale de l'ampleur de celles débloquées pour le tsunami du 26 décembre 2004 en Asie, qui avait fait 16 000 morts au Tamil Nadu (sud), ou lors du séisme au Gujarat (ouest) en 2001.

Cet appel du Bihar est peut-être «un tournant» dans la diplomatie humanitaire indienne, relève M. Robin, selon lequel «le gouvernement central aurait maintenant du mal à dire non» à une assistance étrangère.

Traditionnellement cependant, New Delhi --très attaché à sa souveraineté nationale-- décline toujours, officiellement, toute offre d'aide internationale, jugeant pouvoir se débrouiller seule, mais laisse néanmoins des ONG étrangères travailler sur le terrain.

Mais «au Bihar --contrairement au Tamil Nadu ou au Gujarat-- l'Etat, les infrastructures ou les programmes d'urgence font défaut», explique Gilles Verniers, chercheur de l'Institut d'études politiques de Paris en poste à New Delhi.

«Les conséquences des catastrophes naturelles n'ont rien de naturel. Ce sont les conditions socio-économiques dans un Etat qui déterminent comment les populations sont affectées», conclut-il en citant l'Indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie.