L'Accord de coopération nucléaire entre l'Inde et les États-Unis, approuvé dans des conditions orageuses à Delhi en juillet, est à nouveau en difficulté: plusieurs des 45 pays du Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) ont des doutes, et ils ont eu un gros coup de main des opposants à l'accord au Congrès américain.

Le mois dernier déjà, le NSG, qui fonctionne par consensus, n'avait pu s'entendre pour approuver l'accord et lever 34 années d'embargo sur la vente de matériel nucléaire à l'Inde, qui n'a pas signé le Traité de non prolifération (NPT).

Formé après le premier test nucléaire indien de 1974, le NSG s'est réuni à nouveau hier à Vienne, où diplomates indiens et américains parlent de «progrès» au milieu d'intenses consultations.

Ombre au tableau: les opposants à l'accord au Congrès ont rendu publique la veille une lettre de 26 pages gardée secrète depuis janvier où l'administration Bush assure les membres du Comité des relations internationales de la Chambre que l'accord sera annulé «si l'Inde procède à un essai nucléaire».

Singh sur la sellette

La lettre répondait à 45 questions techniques du comité, que présidait alors le démocrate Tom Lantos, décédé depuis. Elle n'était pas «classifiée» mais a été tenue secrète quand même à cause de ses implications sur le débat qui faisait rage en Inde, jusqu'à l'adoption houleuse de juillet.

Elle a été rendue publique par Howard Berman, successeur de Lantos à la tête du comité. Expliquant sa décision, Berman a dit que l'accord doit venir devant le Congrès, qui a donc besoin d'être «bien informé».

Washington a dépêché le sous-secrétaire d'État aux affaires politiques William Burns à Vienne pour promouvoir l'accord, alors que l'ambassadeur des États-Unis en Inde, David Mulford, répète que «rien n'a changé».

Sur la sellette, le premier ministre indien Manmohan Singh a convoqué le cabinet de crise. «Un coup dévastateur», écrit l'influent quotidien The Hindu, qui avait émis de sérieux doutes sur l'accord, dont l'origine remonte à une visite de George W. Bush en 2006. L'Indian Express demande si Singh a été «induit en erreur» par Bush.

Les communistes, qui ont quitté l'alliance avec le Parti du congrès lors du vote, et la droite hindouiste BJP, qui a aussi voté contre l'accord, ont réclamé hier la démission de Singh, «exposé», disent-ils, par la lettre de Bush.

Dimension géopolitique

À Vienne, des diplomates soulignent la dimension géopolitique de l'accord, estimant, sous couvert de l'anonymat, que les États-Unis veulent bâtir avec l'Inde une "alliance stratégique" pour contrer la Chine et la Russie en Asie.

Ces arguments semblent avoir eu quelque effet sur des objecteurs comme la Suisse, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Mais d'autres, dont l'Autriche et l'Irlande, tiennent mordicus aux 50 amendements proposés le mois dernier au texte soumis au NSG par les États-Unis.

Selon ces diplomates, la Chine s'est gardée de prendre position publiquement sur le sujet. Mais en coulisses, elle s'active à attiser les doutes. "Qu'il obéisse à des calculs géopolitiques ou commerciaux, cet accord porte un coup dur au régime international de non-prolifération", écrit l'Académie chinoise des sciences sociales dans un commentaire.

"C'est un accord irresponsable", a affirmé Daryl Kimball, de l'Association pour le contrôle des armements (ACA) à Washington, demandant aux 45 pays membres du NSG de le rejeter.

Avec Afp, Ap, Reuters, The Hindu, Times Of India, Indian Express, Bloomberg