Elle est certainement le personnage le plus controversé et le moins conventionnel du paysage politique indien, déjà coloré.

Née dans un bidonville de Delhi au sein d'une famille dalit (le terme moderne employé en Inde pour parler des intouchables) de neuf enfants, défiant l'adversité et l'ordre karmique, Mayawati Kumari s'est hissée en 25 ans au sommet d'un système sociopolitique dominé pendant des siècles par des hommes des castes supérieures.

Elle est la preuve vivante qu'en dépit de toutes ses faiblesses, la plus grande démocratie du monde fonctionne.

Même si à sa naissance, un homme saint avait prédit qu'elle serait un jour une grande personnalité politique, il y a 15 ans, personne n'aurait parié sur l'ascension météorique de cette célibataire de 52 ans au langage cru.

D'intouchable à faiseuse de roi

Aujourd'hui, celle que ses millions de supporteurs appellent affectueusement « behenji » (soeur) se profile comme candidate au poste de première ministre de l'Inde aux élections prévues ces prochains mois.

Elle n'a pas encore suffisamment de votes pour être élue à la fonction suprême. Mais comme leader du « troisième front », c'est elle qui déterminera qui des deux partis traditionnels, le Congrès et le parti hindouiste Bharatiya Janata (BJP), dirigera le pays.

Déjà en mars 2007, au moment de son investiture au poste de première ministre de l'État indien de l'Uttar Pradesh (UP), un des plus importants avec ses 175 millions de citoyens, la chef du Bahujan Samaj Party (BSP) proclamait que son prochain défi était de devenir numéro un de la nation. De quoi en faire trembler quelques-uns parmi l'élite politique.

Le programme politique de la dame de fer relève du mystère. On ne sait trop si elle est de droite ou de gauche. Tout le monde s'en méfie. Surtout le parti du Congrès qui, traditionnellement, jouissait du vote des basses castes. Dans le féroce combat actuel pour obtenir les faveurs des dalits, comptant pour près de 20 % des Indiens, elle a choisi pour cible Rahul Gandhi, fils de Sonia Gandhi, qui dirige l'alliance au pouvoir menée par le Congrès, petit-fils de l'ex-première ministre Indira Gandhi et aspirant implicite au poste de premier ministre.

Si certains reprochent au jeune homme, issu de la caste des brah¬manes, son manque de contenu, sa bonne volonté fait consensus. Mais Rahul Gandhi fait sans cesse l'objet d'attaques de la part de la chef du BSP. Récemment, Mayawati a accusé celui qu'elle appelle le « prince de la couronne » de se laver avec un savon spécial et de procéder à des rites de purification après ses rencontres avec des dalits.

La bête noire des médias

Les médias – qui représentent pour la plupart les intérêts des castes supérieures – la décrivent comme corrompue, autocrate, manipulatrice, brute et mégalomane. Elle est d'ailleurs accusée de détenir des avoirs disproportionnés par rapport à ses revenus prétendus. Une enquête est en cours pour expliquer comment sa fortune personnelle a pu passer en quatre ans d'un million de dollars à quelque treize millions.

«Moins gangster que ses prédécesseurs»

Fonctionnaire parmi les plus expérimentés de l'administration de l'Uttar Pradesh, Varun Sharma, voit les gouvernements se succéder depuis 30 ans. « Elle n'est pas plus corrompue que les autres, elle est même moins gangster que ses prédécesseurs » confie-t-il.

Cependant, comme patronne, elle sème la terreur. Le fait que Varun Sharma utilise un faux nom pour cette entrevue en est la première preuve. Pour le fonctionnaire et ses collègues, Mayawati n'est pas « behenji ». Ils l'appellent « Madam », en joignant leurs mains en forme de namaste. Leur loyauté doit être sans limite. Le jour de son anniversaire, célébré en grand à l'échelle du pays, où elle parade couverte de kilos de diamants, elle s'attend à ce qu'ils soient présents, avec un cadeau. Du reste, la lecture de chevet de Varun Sharma est la récente biographie de la politicienne, histoire de faire bonne figure au moment d'un quiz surprise.

Le caractère autoritaire de l'impératrice des intouchables, Paul Divakar, leader de la plus importante organisation défendant les droits des basses castes, le National Campaign for Dalit Human Rights (NCDHR), le connaît trop bien. « Mayawati se demande pourquoi notre organisation existe ; pour elle, la lutte pour les droits des dalits, c'est elle ! » Cela dit, il est ravi qu'elle soit première ministre de l'État le plus populeux de l'Inde. Depuis son arrivée au pouvoir, de nombreux programmes visant à améliorer le statut des dalits sont apparus. Par exemple, elle a imposé en avril des quotas d'embauche de dalits dans tous les partenariats privé-public de l'UP, au grand dam des industriels.

Les résultats éventuels des nouvelles politiques ne seront visibles que dans quelques années. Mais déjà, la présence de Mayawati Kumar en politique est un symbole qui pèse lourd. Même si la politicienne s'est rendue multimillionnaire en politique et alors que ses électeurs continuent à vivoter avec 2 $ par jour, ces derniers l'adulent. Vendeur de chaï dans un marché au centre de la capitale, Jyoti, les yeux brillants, explique : « Voir une dalit si redoutée, si puissante a pour nous quelque chose... d'extrêmement satisfaisant ! »