Jusque-là, le phénomène était quasiment confidentiel, car il était resté limité aux banlieues défavorisées de Paris et des grandes villes françaises. On en parlait dans les journaux régionaux ou dans les pages locales du Parisien, premier quotidien populaire du pays. Mais, le 27 mars 2007, en pleine campagne présidentielle, il a fallu se rendre à l'évidence: les bandes de quartier existaient, et elles étaient en train de tout saccager dans le centre de Paris.

Pour des raisons pas tout à fait claires, deux bandes rivales de banlieue s'étaient donné rendez-vous à la gare du Nord pour régler de vieux comptes, et les affrontements, d'abord entre jeunes puis avec les forces de police, avaient duré de longues heures. Commerces saccagés, voitures incendiées, voyageurs agressés au passage, trafic perturbé... Tout cela dans un immense noeud ferroviaire qui accueille l'Eurostar pour Londres et le Thalys pour Bruxelles, et où transitent des centaines de milliers de voyageurs de la banlieue nord-est.

C'était donc en plein coeur de Paris que se déchaînait cette violence jusque-là confinée à la banlieue - de l'autre côté du boulevard périphérique qui sert de frontière. Et du coup, dans les jours suivants, les pouvoirs publics - ministère de l'Intérieur, police - décidaient de se pencher sur le phénomène des bandes qu'on avait jusque-là sous-estimé ou ignoré.

Un phénomène réel et en pleine expansion, même s'il reste difficile à cerner. Selon de premiers recensements policiers, par exemple, les affrontements entre bandes rivales ont augmenté de 30% l'an dernier. Dans le département de l'Essonne, au sud de Paris, on serait passé de 21 batailles rangées en 2006 à 64 en 2007.

Des affrontements, souvent locaux, qui ne font pas les gros titres de la presse nationale, mais qui sont de plus en plus fréquents et violents. Dans la plupart des cas, on voit apparaître battes de baseball et barres de fer, mais aussi grenades lacrymogènes, couteaux et pistolets. Le 30 juin 2006, le jeune Youssef, 19 ans, est tué à coups de barres de fer à Villeneuve-Saint-Georges, dans la grande banlieue parisienne. Le 18 février 2007, un affrontement entre cités HLM rivales fait un blessé par balle dans l'Essonne. Le 14 juin dernier, un jeune est abattu dans une autre banlieue, Vitry-le-François.

Et encore: le 8 octobre 2007, une bataille rangée entre bandes rivales de Creil, à une cinquantaine de kilomètres de Paris, se transporte aux urgences de l'hôpital de la ville, où un jeune a été transporté. Une centaine de personnes envahissent les urgences. Les renforts de police permettent d'éviter le pire, et la bagarre se poursuit sur le terrain de stationnement: on retrouvera sur place un fusil à canon scié, des barres de fer, des chaînes de vélo. Il y avait d'un côté les Noirs, de l'autre les Maghrébins, qui habitent deux quartiers distincts.

La logique du territoire

De l'avis général, les bandes organisées se sont multipliées dans les dernières années. Selon le criminologue Christophe Souliez, qui a fait une étude comparative entre le Canada et la France, on dénombrerait 300 bandes organisées dans le premier cas, et 600 ou 700 en France. Il ne s'agit que d'une estimation sommaire, en tenant pour acquis que chaque «quartier sensible» a sa propre bande.

Mais le problème qui se pose en France pour les chercheurs tient au fait que les bandes n'y sont pas - pour l'instant - aussi structurées qu'au Canada ou aux États-Unis: «Dans la majorité des cas, ces groupes ne font pas appel à des marques d'appartenance ou à des rites initiatiques», dit M. Souliez. Et d'autre part, il est parfois difficile de distinguer les activités de gangs organisés et les explosions de violence plus ou moins spontanées qui font se regrouper les jeunes d'un quartier le temps d'une nuit d'émeute.

Pour le sociologue Marwan Mohamed, spécialiste de la question, l'appartenance à une bande de quartier n'est généralement pas formelle et définitive: «On s'intègre à une bande parce que ça correspond à un moment de la vie ou de l'adolescence, qu'on est en échec scolaire ou qu'on veut affirmer sa virilité. Mais le plus souvent, ça ne dépasse pas les limites du quartier. En ce sens, il n'y a pas encore de bandes «ethniques»: Blacks, Beurs ou Blancs peuvent se retrouver dans la même bande s'ils sont de la même Cité HLM. C'est la logique du territoire qui s'impose. Et ça peut fluctuer énormément au fil des mois. Sauf exception, ce ne sont pas des organisations stables et durables.»