Radovan Karadzic s'était créé une nouvelle vie en cavale sous l'identité de Dragan Dabic, spécialiste en médecine douce: il avait une maîtresse, s'était inventé une famille aux États-Unis et fréquentait un bar de Belgrade nommé «The Madhouse» («la maison de fous»), où une photo montrant ce psychiatre de formation sous sa véritable identité était accrochée au mur.

Depuis l'arrestation de Karadzic lundi, la transformation physique de l'ancien chef politique adepte du costume-cravate en gourou new age passionne les Serbes, qui n'auraient jamais imaginé qu'il vivait ainsi parmi eux. Avec sa barbe fournie et ses lunettes, Karadzic, aujourd'hui âgé de 63 ans, était méconnaissable. Et nombre de ses voisins peinent à réaliser que le sympathique Dr. Dragan David Dabic qu'ils côtoyaient au quotidien était en fait l'un des hommes les plus recherchés au monde.

«Sa nouvelle vie était fascinante. Il se cachait sans se cacher», souligne la criminologue Leposava Kron.

L'ancien chef politique des Serbes de Bosnie avait une petite amie qu'il présentait comme une collaboratrice de l'entreprise de médecine alternative qu'il dirigeait, a raconté mercredi Zoran Pavlovic dans un entretien à l'Associated Press. Cet informaticien avait été embauché en février pour créer un site Internet vantant les compétences du Dr. Dabic en «énergie quantique humaine».

M. Pavlovic précise s'être rendu plusieurs fois dans l'appartement de Karadzic dans un quartier moderne de Belgrade pour discuter du projet. Il y a vu une photo de quatre garçons, tous habillés du maillot de l'équipe de basket des Los Angeles Lakers, et présentés par son hôte comme des petits-fils vivant aux États-Unis.

Karadzic lui a expliqué qu'il avait vécu à New York et avait «obtenu son diplôme» aux États-Unis. «Il m'a dit qu'il allait souvent en Amérique et je n'avais aucune raison de ne pas le croire.»

Selon M. Pavlovic, le plus grand désordre régnait dans l'appartement, un deux-pièces, et Karadzic était toujours habillé en noir et se plaignait souvent de la difficulté de se procurer de l'argent. «Franchement, il m'effrayait un peu. Je pensais qu'il était membre d'une secte religieuse, avec sa barbe et tout le reste, mais je l'ai traité comme n'importe quel autre client», précise l'informaticien.

Karadzic a donné à M. Pavlovic des objets en métal plaqués or et argent en forme de balle qu'il utilisait dans le cadre de ses thérapies pour attirer «l'énergie cosmique».

La petite amie de Karadzic, Mila, une brune séduisante dans la quarantaine, a parfois fait des suggestions pour le site Web, se souvient M. Pavlovic. Karadzic est toujours officiellement marié à Ljiljana Zelen-Karadzic, qui vit dans la maison familiale à Pale, en Bosnie. «Si quelqu'un savait qui il était vraiment, ce devait être elle (sa petite amie)», estime M. Pavlovic.

Les voisins du «Dr. Dabic» ne tarissent pas d'éloges à son égard. «Il était toujours poli, offrant ses services pour aider mon mari, qui avait eu un accident vasculaire cérébral», déclare ainsi Milica Sener. «Mais j'ai refusé. Nous ne croyons pas dans la médecine alternative.» Selon la retraitée Milica Bjelanovic, Karadzic s'était installé dans le quartier il y a un an et demi. Un homme tranquille, mais dont l'apparence étonnait avec ses airs de vieux hippie.

Misko Kovijanic, qui possède le bar «The Madhouse» dans le quartier de l'ancien fugitif, raconte que c'était un habitué qui aimait boire du vin rouge dans ce pub, où l'on peut voir, accrochée au mur, une photo de Karadzic et de son comparse le général Ratko Mladic. «Je suis très fier qu'il soit venu dans mon pub, et très triste qu'il ait été arrêté», précise-t-il, ajoutant que Karadzic aimait écouter le «gusle» un instrument à une corde, qui était joué dans le bar.

Sous son pseudonyme, Karadzic a écrit des articles pour «Healthy Life», magazine serbe spécialisé dans les médecines alternatives. Le rédacteur en chef Goran Kojic, dit avoir été surpris en découvrant la vérité sur Karadzic, mais précise être devenu méfiant lorsque le Dr. Dabic a été dans l'impossibilité de présenter le diplôme qu'il affirmait avoir obtenu.

«Il disait qu'il l'avait laissé chez son ex-femme aux États-Unis», se rappelle-t-il. Les deux hommes ont alors convenu que l'auteur interviendrait dans la revue sous le titre de «chercheur spirituel».