Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a demandé lundi aux juges de la CPI d'émettre un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir pour «génocide» au Darfour (Soudan), accusation immédiatement rejetée par Khartoum.

«J'ai soumis aux juges une demande de mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre», a-t-il déclaré à la presse, après avoir présenté ses éléments de preuve aux juges.

Il table sur une décision d'ici «deux à trois mois», le temps pour les juges «d'analyser les preuves» et d'accepter la demande, la rejeter ou demander plus d'éléments.

Le Soudan a immédiatement rejeté ces accusations et a menacé d'une «réaction» si l'affaire était portée devant les Nations unies.

Il s'agit de la première demande d'arrestation d'un chef d'État en exercice devant la CPI, seul tribunal permanent compétent pour juger les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocides.

C'est aussi la première fois que le génocide est porté devant ses juges.

Selon M. Moreno-Ocampo, le génocide «a été décidé par Béchir lui-même» en ordonnant à ses hommes de «ne pas faire de blessés ou de ramener des prisonniers».

Il l'accuse de meurtre, viol, extermination et déplacement forcés, notamment.

Selon le procureur, Béchir «a mobilisé l'ensemble de l'appareil d'État» pour mettre «intentionnellement» les 2,5 millions de déplacés dans «des conditions d'existence qui ne pouvaient qu'entraîner leur destruction physique».

Il établit à 118 000 le nombre de morts des suites de cette politique, alors que 35 000 civils ont été tués dans des affrontements.

Dans un communiqué publié à New York, la force conjointe ONU-Union africaine au Darfour (Minuad) a indiqué qu'elle allait évacuer son personnel non essentiel tout en conservant ses soldats sur place «en raison de la détérioration des conditions de sécurité au Darfour».

Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a indiqué qu'il attendait du Soudan qu'il «continue à pleinement coopérer» pour assurer la sécurité du personnel de l'ONU dans le pays.

«Nous appelons instamment toutes les parties à garder leur calme», a dit la Maison-Blanche, qui a pris des mesures pour accroître la sécurité des Américains au Soudan.

À Paris, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a appelé le président Béchir à «respecter» toute décision de la CPI.

La Ligue arabe a convoqué samedi une réunion d'urgence à la demande de Khartoum tandis que la présidence de l'Union africaine (UA) a mis en garde contre la possibilité «de coups d'État militaires et d'une anarchie généralisée» au Soudan.

Les 25 membres de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad) ont également fait part de leurs inquiétudes tandis que les ONG de défense des droits de l'homme ont salué la demande du procureur de la CPI en la qualifiant de «pas significatif» vers «la fin de l'impunité» au Darfour.

Les armes du crime «les plus efficaces, sélectionnées par Béchir, sont le viol, la faim et la peur», a accusé M. Moreno-Ocampo.

«Les attaques sont concentrées sur les civils, femmes et jeunes filles, pas sur les rebelles» défiant Khartoum, a martelé le procureur.

Pour ceux qui échappent aux viols et aux bombes, «pas de balles, le désert fera le reste», a-t-il ajouté en citant une victime.

Dimanche, alors qu'un millier de Soudanais avaient manifesté à Khartoum, le gouvernement avait assuré qu'il garantirait la sécurité des organisations internationales au Soudan, mais répétait à l'envi que la CPI allait «détruire le processus de paix» au Darfour.

Mardi, sept soldats de la force mixte ONU-Union africaine (Minuad) chargée du maintien de la paix au Darfour avaient été tués dans une attaque.

La CPI, chargé en mars 2005 par le Conseil de sécurité d'enquêter au Darfour, a déjà émis des mandats d'arrêt contre les Soudanais Ahmed Haroun, actuel ministre soudanais aux Affaires humanitaires, et Ali Kosheib, un chef de la milice pro-gouvernementale janjawid, qu'Omar el-Béchir a toujours refusé de remettre à la CPI.

Depuis 2003, les forces gouvernementales appuyées par les milices arabes janjawid luttent contre les rebelles du Darfour. Le conflit a fait plus de 300 000 morts et entraîné le déplacement de 2,2 millions de personnes, selon l'ONU, 10 000 morts selon Khartoum.