Les temps sont durs pour les fabricants de keffiehs en Cisjordanie, confrontés aux exportateurs chinois du symbole de la cause palestinienne depuis longtemps récupéré par les pacifistes ou les créateurs de mode de la planète.

Au fil des ans, la fameuse coiffure à damier noir et blanc que Yasser Arafat a transformée en symbole de la lutte des Palestiniens à partir des années 1960, s'est internationalisée. Elle a été immortalisée dans une chanson à la gloire d'Arafat, mort en novembre 2004, intitulé «hausse le keffieh et agite-le».

Mais loin des territoires palestiniens, le keffieh est devenu l'apanage du militantisme pacifiste ou encore le foulard toutes saisons transformé en accessoire du chic urbain vaguement subversif et exotique.

Conséquence de ce phénomène: Yasser al-Hirbawi, propriétaire d'un atelier de fabrication de keffiehs à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, doit désormais faire face à la concurrence des Chinois sur le marché local.

«Jadis, nous avions 15 machines tournant 20 heures par jour, et maintenant il n'y en a plus que quatre qui fonctionnent huit heures par jour», se plaint-il dans sa fabrique obscure et partiellement désertée.

À la fondation de l'entreprise en 1961, le keffieh était une simple composante du vêtement local, comme c'est toujours le cas pour lui-même et pour nombre de Palestiniens ou d'autres Arabes.

«C'est notre vêtement national. On ne le voit pas beaucoup en été, mais en hiver tout le monde le porte, car il protège du froid», affirme Hirbawi en appliquant un coin de son keffieh sur son visage.

Avec la montée de la Chine dans les années 1990, à l'instar du reste du monde, la Cisjordanie occupée a été inondée par des produits made in China.

«Aujourd'hui, les clients, surtout les étrangers, préfèrent les importations (...) Ils devraient acheter nos produits et soutenir l'industrie locale», affirme Hirbawi en prenant délicatement une pincée de tabac à rouler dans une petite boîte en argent.

Il vend ses keffiehs pour moins de cinq dollars l'unité, ignorant que ceux-ci coûtaient quatre fois plus cher jusqu'en janvier 2007 à «Urban Outfitters», une chaîne de magasins de vêtements «in» aux États-Unis.

Présenté comme un symbole du pacifisme, l'article a été retiré de la vente à la suite des protestations des sympathisants d'Israël.

Une controverse similaire a éclaté en mai dernier quand une célèbre chef américaine, Rachel Ray, a porté un foulard évoquant le keffieh dans un spot publicitaire, provoquant la colère d'une éditorialiste américaine, Michelle Malkin, qui l'a accusée de promouvoir «le chic Jihad» et la «haine couture».

Dans les boutiques de la Vieille ville de Hébron, on trouve pêle-mêle keffiehs multicolores, drapeaux palestiniens, céramiques arméniennes, souvenirs et bibelots, tout au long du chemin qui mène au Caveau des Patriarches (Abraham, Isaac et Jacob).

Lieu saint de l'islam et du judaïsme, ce site est devenu l'un des hauts lieux du conflit israélo-palestinien. En février 1994, un colon extrémiste juif y a massacré 29 fidèles palestiniens dans une salle de prière.

Quelque 800 colons juifs radicaux gardés par l'armée israélienne vivent dans une enclave au coeur de Hébron, entourés de quelque 150 000 Palestiniens.

«Hirbawi est notre fournisseur (...) Les clients étrangers adorent ses keffiehs aux couleurs pastel», dit Jamal Maraqa, 47 ans, un boutiquier.

«C'est le symbole de la Palestine et de Yasser Arafat, et pas du terrorisme (...) Ils (les Israéliens) sont venus ici et ont causé des problèmes. Nous ne faisons que défendre nos droits», s'empresse cependant d'ajouter Maraqa en montrant la maison de colons juifs qui surplombe son échoppe.

En face, Mohammad Al-Mouhtasseb est accroupi à l'entrée d'un magasin, le visage buriné encadré par le couvre-chef national. Ce look, il l'a façonné bien avant le déclenchement du conflit israélo-palestinien.

«J'ai 90 ans et j'ai porté le keffieh toute ma vie», assure le vieil homme. «Il fait partie de ma tête».