Mettez les pieds dans une librairie ces jours-ci aux États-Unis et vous serez accueilli par des titres qui semblent venir tout droit de la table de chevet de Noam Chomsky.

Il y a quelques jours, dans l'entrée de Barnes&Noble dans le quartier Fairfax, à Los Angeles, on trouvait:

- The Dark Side, de Jane Mayer. «Une enquête dramatique sur les erreurs commises par l'administration Bush dans la guerre au terrorisme.»

- This Land is Their Land, de Barbara Ehrenreich. «Pendant que les ultrariches sont obsédés par la chirurgie plastique, les pauvres n'ont pas les moyens de payer l'assurance santé à leurs enfants.»

- The Prosecution of George W. Bush for Murder, par Vincent Bugliosi. «Ce livre fouillé présente une série d'argumentations juridiques pour inculper le 43e président des États-Unis des crimes liés à la guerre en Irak.»

Ces exemples sont pris au hasard. Il y en a beaucoup, beaucoup d'autres. À vue de nez, 80% des livres traitant de l'actualité publiés cette année s'en prennent d'une façon ou d'une autre aux décisions de la Maison-Blanche.

Après deux mandats républicains, Wall Street est en déroute, des millions d'Américains perdent leur maison, le dollar est dévalué, le déficit atteint des sommets records, la guerre en Irak a coûté des milliers de milliards de dollars...

Pourquoi alors 40% des électeurs s'apprêtent-ils à voter pour le candidat républicain cet automne, selon les sondages? Sont-ils incapables de voir que leur pays est en chute libre?

C'est une question qui me trotte dans la tête depuis que je suis arrivé ici, il y a deux ans. Los Angeles n'est pas le meilleur endroit pour rencontrer des républicains. Mais de soupers en soupers, de reportages en reportages, j'ai fini par avoir quelques discussions avec des gens intéressants qui préféreraient se faire renverser par un autobus plutôt que de voter démocrate.

Pour eux, le coupable, c'est Bush.

«Bush est un idiot fini», m'a dit sans détour Andy, que j'ai rencontré en reportage cet été au Colorado.

Ex-cadre à Microsoft, Andy est un père de famille de Boston. Gros salaire, maison d'hiver en Floride, chalet dans le Maine... En vacances, Andy a des Dockers aux pieds et un BlackBerry à la ceinture.

Andy se dit conservateur. Barack Obama l'impressionne, mais il n'est pas prêt à voter pour lui. Il veut appuyer un républicain. Une personne qui n'essaiera pas de faire grossir le gouvernement et de hausser les impôts. «Et n'importe quel candidat républicain sera meilleur que Bush, dit-il. N'importe lequel.»

Dans l'esprit des conservateurs, Bush est un vin bouchonné. Pour eux, arrêter de voter républicain parce que Bush est un mauvais président est comme arrêter de boire du vin parce qu'on tombe, un jour, sur une mauvaise bouteille.

Un ras-le-bol de Bush

Se débarrasser de Bush, c'est se débarrasser du problème. Tout simplement.

Très peu de conservateurs sont prêts à faire leur mea-culpa, à regarder froidement les huit dernières années et à admettre qu'ils ont affaibli leur pays en appuyant les républicains.

Car les États-Unis ne sont pas dans ces conditions parce que les républicains n'ont rien fait: le pays est en chute libre parce qu'ils ont appliqué leur programme à la lettre.

Les républicains ont fait exactement ce qu'ils ont dit qu'ils allaient faire: privatiser, réécrire les lois contraignantes pour les grandes entreprises, laisser le marché faire ce qu'il veut, aider les riches...

Aujourd'hui, on peut suivre en direct les résultats de cette politique du «laisser-faire» en ouvrant un journal ou en mettant les pieds dans n'importe quelle libraire.

Pour le meilleur et pour le pire, le problème a un visage et un nom: George W. Bush. Quoi qu'il arrive, il va quitter la Maison-Blanche dans moins de six mois. Pourquoi s'inquiéter?

Certains conservateurs ont décidé qu'ils en avaient assez. Le père de mon amie Laura est l'un d'eux. Plusieurs fois millionnaire, il a travaillé toute sa vie dans une grande boîte de publicité sans prendre un jour de vacances. Il habite aujourd'hui avec sa femme dans une villa de la Napa Valley, passe son temps à voyager autour du monde et collectionne des Bentley et des Lamborghini. Son beau-frère est l'un des meilleurs amis de George W. Bush.

Cette année, c'est Obama qui aura son vote.

«Je n'en reviens pas, m'a dit mon amie. Mon père est fou de Barack Obama. Même ma mère travaille comme bénévole pour sa campagne. Dans ma famille, c'est du jamais vu. C'est la première fois que nous allons tous voter pour le même candidat.»

Le ras-le-bol est là. Reste à savoir si Obama saura convaincre les gens que Bush n'est pas le seul responsable de leurs misères.