Frappés par la loi antitabac et une conjoncture économique difficile, les pubs ferment à un rythme alarmant partout en Grande-Bretagne. Est-ce la dernière tournée pour cette institution britannique?

Au coin de deux rues anonymes, perdues dans le nord de Londres, le majestueux pub George IV était presque désert mercredi dernier. Une dizaine de clients sirotaient une bière en regardant un match de soccer amical entre l'Angleterre et la République tchèque. Le pub peut pourtant accueillir 200 personnes.

Contrairement aux magnifiques lierres fleuris qui ornent sa devanture, les affaires ne sont pas florissantes pour le George IV.

«Notre chiffre d'affaires a baissé d'au moins 40% depuis deux ans, dit Daniel Horgan, tenancier du pub. Mardi, je n'ai eu qu'un client toute la soirée. Je n'ai jamais vu ça en 12 ans.»

Dans le même quartier de Kentish Town, une dizaine de «public houses» ont fermé depuis quelques années. Daniel Horgan craint que son établissement ne soit le prochain. «Si le propriétaire décide de fermer, et je ne doute pas un instant qu'il envisage cette option, je me retrouve à la rue», dit le quinquagénaire.

Pire crise depuis la Dépression

L'industrie des pubs traverse sa pire crise depuis la Grande Dépression des années 30. Plus de 1400 établissements ont plié boutique en 2007. Le bilan pourrait être pire cette année. Ils ferment au rythme de 27 par semaine. La Grande-Bretagne compte aujourd'hui 56 000 pubs en comparaison à 69 000 en 1980.

L'association des brasseurs et des pubs britanniques sonne l'alarme. En plus de la loi antitabac instaurée en juillet 2007, elle montre du doigt la conjoncture économique.

«On n'aurait pu imaginer un pire scénario, dit le porte-parole, Neil Williams, à La Presse. L'interdiction de fumer a été suivie du ralentissement économique, d'une montée de l'inflation et d'une hausse de 6% de la taxe sur la bière en mars dernier.» L'association fait maintenant pression sur le gouvernement pour obtenir un allègement fiscal.

Les pubs peinent aussi à rivaliser avec les supermarchés, où la bière est trois fois moins chère. La chaîne Tesco, géant de la distribution alimentaire, vend maintenant plus d'alcool que n'importe quel autre brasseur ou détaillant.

Comble de malheur, les Britanniques délaissent de plus en plus la bière à pression, la clé de voûte des pubs, pour le vin et les spiritueux. Il s'est consommé 14 millions de pintes de moins par jour en 2007 qu'en 1979.

Perte d'un héritage

Mais au-delà des chiffres, les piliers de pub dénoncent le coût social et culturel de cette hémorragie.

«C'est un symbole fort de notre patrimoine qui est menacé, dit Neil Williams. Le pub est le coeur de nos villes. La situation est dramatique pour les villages. Ils sont en voie de perdre leur pivot.»

Selon Stephen Wilkinson, gérant du Grafton Arms dans Kentish Town, des résidants ont perdu leur seul lieu de socialisation. «C'était leur seul contact avec leurs amis. Au lieu de geler dehors pour griller une cigarette, ils préfèrent rester à la maison», dit M. Wilkinson, qui a vu une baisse de 20% de sa clientèle.

Toutefois, l'humeur n'est pas morose pour tous les tenanciers de pub. Certains font preuve d'ingéniosité pour augmenter leurs ventes. Ils installent des écrans plats, proposent des soirées concerts, ou un menu gastronomique.

Toutes des avenues que Daniel Horgan envisage pour le George IV. «On va tout essayer. De toute façon, nous n'avons plus le choix», marmonne-t-il, le regard inquiet.