«Au moins, nous connaissons déjà le russe, ce n'est pas comme si nous étions envahis par les Chinois.» La blague qui circule ces jours-ci dans les rues de Tbilissi donne une idée du pessimisme avec lequel les Géorgiens suivent l'avancée des troupes russes sur leur territoire.

«C'est le début de l'occupation de la Géorgie», constate avec résignation Aleko Jishkarian, jeune diplômé en relations internationales, que La Presse a joint hier dans la capitale géorgienne.

«Il doit y avoir 10 000 soldats russes sur notre territoire et quelques centaines de tanks. C'est une opération majeure contre la Géorgie, et le but de cette opération, c'est de faire tomber notre gouvernement», dit-il.

Alexandre Sirois s'entretient avec Frédéric Lavoie, en Ossétie du Nord:



Aux yeux de Géorgiens joints hier à Tbilissi et à Montréal, les chances pour que Moscou ne parvienne pas à atteindre son objectif sont minces. «Les Russes vont aller jusqu'au bout à moins que la communauté internationale ne les arrête», prévoit Tina Bochorishvili, philosophe et directrice de la Fondation nationale des sciences à Tbilissi.

Vers 4h du matin, hier, deux bombes sont tombées non loin de son quartier, dans la capitale géorgienne. Maintenant, chaque fois qu'elle entend le moteur d'un avion, Mme Bochorishvili se demande s'il n'annonce pas un nouveau bombardement. Mais elle est aussi en état de choc: jamais elle n'aurait imaginé que l'armée russe pousserait son offensive au-delà de l'Ossétie-du-Sud et de l'Abkhazie, les deux républiques sécessionnistes de la Géorgie.

«C'est inimaginable!» s'exclame-t-elle.

Joint en soirée hier, un journaliste géorgien de Radio Liberté à Prague, David Kakabadze, s'attendait à ce que les tanks russes entrent à Tbilissi d'un moment à l'autre. La ville géorgienne de Gori venait, selon lui, tout juste de tomber aux mains des Russes. «Notre correspondant à Gori a vu des chars russes se diriger vers Tbilissi», a-t-il dit. Gori se trouve à environ 80 km de la capitale géorgienne.

«Quel est au juste le but de Moscou? se demande M. Kakabadze. Les Russes prétendent qu'ils agissent pour prévenir une crise humaine. Mais alors, pourquoi ne se contentent-ils pas de rester en Ossétie-du-Sud? En vérité, ce qu'ils veulent, c'est punir la Géorgie. C'est pire que ce qu'aurait fait le pire des dirigeants soviétiques!»

Même s'il reconnaît que ce sont les troupes géorgiennes qui ont amorcé la récente escalade, David Kakabadze estime que Moscou n'attendait qu'un prétexte pour lancer son offensive contre Tbilissi. «Quand la candidature de la Géorgie a été rejetée au dernier sommet de l'OTAN, la Russie a compris qu'elle avait le feu vert», dit ce journaliste, qui blâme le président géorgien Mikheïl Saakachvili d'avoir joué le jeu de la Russie en lui donnant une occasion pour envahir son pays.

«De toute son histoire, Tbilissi n'a jamais été bombardée», se désolait hier Elena Botchorichvili, écrivaine d'origine géorgienne établie à Montréal.

Comme d'autres membres de la petite communauté géorgienne au Québec, elle était rivée au téléphone et à l'internet, tentant de joindre ses proches en Géorgie.

«Si les Russes ont fait ça en Géorgie, ils peuvent faire ça n'importe où ailleurs», soupirait-elle.

Ce qui se passe a tout l'air d'une «guerre à finir», estimait de son côté Gourami Kakhadze, étudiant en droit à l'Université de Montréal. Même s'il admet avoir de la difficulté à bien comprendre la stratégie de la Géorgie, il souligne que dès la reconnaissance internationale de l'indépendance du Kosovo, au printemps, Moscou avait menacé d'y répondre en traitant les régions sécessionnistes de l'Abkhazie et de l'Ossétie-du-Sud comme des pays souverains.

Aux yeux de M. Kakhadze, les événements des derniers jours ne constituent que la suite logique de cette politique de représailles. «C'est oeil pour oeil, dent pour dent.»

Inquiet pour sa famille restée en Géorgie, l'étudiant de 24 ans a de la peine à imaginer un dénouement heureux.

«Les Russes ne peuvent pas se retirer de Géorgie sans perdre la face; ils vont poursuivre jusqu'au bout, jusqu'au changement de régime», prévoit-il.

«Ils vont aller jusque-là, et personne ne va les arrêter», dit sa copine Nino Marchania, étudiante en communications, complètement consternée. «Je ne comprends pas pourquoi le monde ne peut pas empêcher ça», dit-elle en ravalant ses larmes.