Un demi-siècle après la Guerre de Corée, la commission d'enquête sud-coréenne Vérité et Réconciliation conclut que l'armée américaine a massacré des groupes de réfugiés et autres civils au début du conflit. Elle recommande au gouvernement de réclamer à Washington l'indemnisation des victimes.

La commission, mise en place il y a deux ans et demi, fait état de plus de 200 cas dans ses fichiers, et se fonde sur plusieurs centaines de témoignages de citoyens racontant des scènes de bombardements et de mitraillages de réfugiés ainsi que de villages en 1950 et 1951.

«Naturellement, le gouvernement américain devrait payer des compensations. C'est la faute de l'armée américaine», déclare Cho Kook-won, un survivant de 78 ans, qui dit avoir perdu quatre membres de sa famille parmi plusieurs centaines de réfugiés étouffés, brûlés et tués par une attaque au napalm contre des grottes où ils s'étaient réfugiés au sud de Séoul, en 1951.

Les chercheurs de la commission ont déniché des preuves de massacres commis aveuglément, dans des archives américaines rendues accessibles à tous, et notamment un rapport d'inspecteurs généraux américains affirmant que les pilotes ne pouvaient pas distinguer leurs alliés civils sud-coréens des soldats ennemis nord-coréens.

Les parlementaires sud-coréens ont demandé à une commission du Sénat américain de s'associer à eux pour enquêter sur un autre document longtemps tenu secret. Selon ce document, les commandants américains à la tête de troupes terrestres, craignant les infiltrations d'ennemis, avaient décidé de tirer à vue sur les réfugiés qui approchaient.

Selon l'agence Associated Press, des pilotes qui opéraient à l'époque et des documents rendus publics aux archives nationales américaines confirment que les réfugiés étaient délibérément visés par les forces américaines.

L'administration américaine est restée très silencieuse sur le travail de la commission. L'ambassade des Etats-Unis à Séoul affirme ne pas avoir été approchée par le gouvernement sud-coréen sur la question des compensations. Un porte-parole, Aaron Tarver, a aussi confié à l'AP que l'ambassade ne suivait pas le travail de la commission.

Selon le président de la commission, l'historien Ahn Byung-ook, l'armée américaine a aidé à défendre la Corée du Sud dans les années 1950-53, mais a aussi «exercé des représailles» sur des civils sud-coréens. «Nous pensons qu'une enquête détaillée devrait être menée par l'administration américaine elle-même», souligne-t-il.

Des pétitions de citoyens se sont accumulées depuis 1999, quand l'AP, après avoir retrouvé la trace d'anciens combattants de l'armée américaine qui étaient sur place, avait confirmé les meurtres de réfugiés à No Gun Ri. Les survivants estiment que 400 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, sont mortes entre les mains d'Américains à No Gun Ri.

En Corée du Sud, pays qui s'est démocratisé récemment après plusieurs décennies de régimes autoritaires, le silence était de mise sur ces questions. Ce rapport a ouvert les portes de la mémoire collective et les familles ont pu s'exprimer sur ces crimes de guerre.

«L'épisode No Gun Ri est devenu une des références pour réagir à ce genre de chose à l'avenir», déclare Park Myung-lim, historien spécialiste de la Guerre de Corée et conseiller de la commission.

L'Assemblée nationale a constitué une commission de 15 membres en décembre 2005 pour enquêter sur des faits de guerre qui sont longtemps restés cachés, notamment les exécutions sommaires de milliers de militants de gauche présumés par le régime sud-coréen, mais aussi sur les violations des droits de l'Homme commises par le gouvernement autoritaire de Séoul après la guerre.

Ce rapport est destiné à «réconcilier le passé dans l'intérêt de l'unité nationale», selon la commission. Celle-ci en peut pas contraindre les gens à témoigner, poursuivre en justice ou attribuer des compensations.

Après l'invasion par la Corée du Nord de la partie sud du pays en juin 1950, des médias ont fait état de tels massacres. Mais on en ignorait l'ampleur. Un membre de la commission, Kim Dong-choon, chargé d'enquêter sur les tueries de civils, a affirmé qu'il y avait eu un grand nombre de morts -entre 50 et 400- dans beaucoup d'incidents.

Comme à No Gun Ri, certains mettent en cause des soldats américains au sol, comme le massacre présumé de 82 civils entassés dans un lieu de pèlerinage de la ville de Masan (sud) en août 1950. Mais dans la plupart des cas, il s'agissait d'attaques aériennes.

La commission affirme notamment qu'un bombardement sur l'île de Wolmi (est) le 10 septembre 1950, cinq jours avant un débarquement américain à Incheon, situé à proximité, n'était pas justifié. Les survivants estiment qu'au moins une centaine de civils sud-coréens avaient été tués. Par temps clair, à basse altitude, «les forces américaines ont déversé du napalm sur plusieurs petits bâtiments, atteignant des enfants, des femmes et des vieillards», souligne la commission.