La Russie a reconnu hier l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie-du-Sud, poussant à bout sa stratégie de protection de ces deux républiques séparatistes géorgiennes collées à sa frontière du Caucase et lorgnées par l'OTAN.

C'est «une violation de l'intégrité et de la souveraineté de la Géorgie» qui va «à l'encontre des résolutions de l'ONU», a déclaré le ministre canadien des Affaires étrangères, David Emerson, résumant l'essentiel des réactions de l'Occident.

Dans les deux territoires, c'était la jubilation. «C'est un jour historique pour notre peuple», a dit le président abkhaze, Sergueï Bagapch, prêt à des accords militaires avec la Russie.

«La Russie nous a sauvés d'un génocide», a lancé le président sud-ossète, Edouard Kokoïty, disposé à accueillir une base militaire russe.

En Géorgie, privée d'un sixième de son territoire, le président Mikheïl Saakachvili a dénoncé une décision «totalement illégale» et accusé Moscou de vouloir «changer les frontières de l'Europe par la force».

L'exemple du Kosovo

Le président russe, Dmitri Medvedev, a invoqué le Kosovo à la BBC. «D'autres États l'ont fait avec le Kosovo», a-t-il dit, en allusion à la province de 10 800 km2 séparée unilatéralement de la Serbie plus tôt cette année en violation de résolutions de l'ONU, et reconnue par la plupart des pays de l'OTAN.

La crise, qui menace d'empoisonner les relations entre la Russie et l'Occident, voire d'engendrer une nouvelle «guerre froide», couve depuis les guerres yougoslaves des années 90, et au moins depuis le bombardement de la Serbie par l'OTAN en 1999 pour l'expulser du Kosovo et en prendre le contrôle.

Impuissante, la Russie a assisté au lynchage «illégal» de son allié serbe en 1999, comme il a été témoin en 2003 de l'invasion, toute aussi «illégale», et de la destruction de son allié irakien.

Contre la Géorgie, pressée d'agir pour protéger deux pipelines de la Caspienne desservant l'Europe et d'être admise à l'OTAN, la Russie a lancé ses propres frappes de type «Shock and Awe» après la destruction de Tskhinvali, capitale de l'Ossétie-du-Sud, par l'aviation de Tbilissi.

Une ligne dans le Caucase

C'était la semaine dernière le 40e anniversaire de la répression du printemps de Prague par l'ex-armée soviétique. Mais en Abkhazie et en Ossétie-du-Sud, la nouvelle Russie se présente désormais comme «protectrice des faibles».

Accusant Saakachvili d'avoir organisé un «génocide» en Ossétie-du-Sud (le territoire compte 70 000 habitants, contre 4,4 millions de Géorgiens), Medvedev a déclaré à la BBC: «Le plus important, c'est de défendre les droits des Ossètes et des Abkhazes" menacés par "une catastrophe humanitaire».

La menace d'une poussée du Pacte de Varsovie vers l'Ouest a justifié l'existence de l'OTAN durant la guerre froide. Le Pacte n'est plus, et ni l'URSS. Aujourd'hui l'OTAN menace la Russie avec une poussée vers l'Est (boucliers antimissile en Pologne, bases dans les Balkans et en Asie centrale, guerre en Afghanistan, visées en Ukraine et dans le Caucase).

Près de 20 ans après la fin de la guerre froide, et après avoir tenté de s'intégrer à l'Europe et de coopérer avec l'OTAN, la Russie a tracé une ligne dans le Caucase pour se défendre et protéger ses intérêts.

Mais elle laisse la porte ouverte au compromis. À la veille du sommet européen sur la Géorgie, elle mise sur les OTAN-sceptiques de l'Union européenne. Elle a gelé la grande partie de sa collaboration avec l'OTAN, mais elle continue d'aider à acheminer vivres et matériels à ses forces en Afghanistan.

La reconnaissance russe de l'Abkhazie et de l'Ossétie n'est pas un point de non-retour. «Nous ferons tout pour éviter une nouvelle guerre froide, mais nous ne la craignons pas», a dit hier Medvedev. «Si les Européens veulent la dégradation, ils l'obtiendront», a-t-il ajouté.