Ambitieux et impulsif, le président de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, est perçu comme un bagarreur qui a «toujours besoin d'un feu à éteindre». Son pays est actuellement occupé par les troupes de Moscou, et il a promis de se battre jusqu'au bout contre «l'invasion russe». Mais en attaquant l'Ossétie-du-Sud, c'est carrément lui qui a mis le feu aux poudres.

«Tant qu'il n'a pas atteint son but, il n'arrête pas. Il ne reconnaît jamais ses erreurs. Il accuse toujours les autres, tantôt la Russie, tantôt l'opposition. Ce n'est jamais lui le coupable.»

>> Voyez l'interview d'Alexandre Sirois avec notre envoyé spécial, Frédérick Lavoie.

L'homme qui parle ainsi de Mikheïl Saakachvili a jadis été l'un de ses plus proches alliés. Un ami, même. Aujourd'hui, il croit que le caractère impulsif du jeune président géorgien conduira le pays à sa perte.

En raison de l'état d'urgence décrété à la suite de l'entrée des troupes russes sur le territoire géorgien cette semaine, notre interlocuteur exige que l'on taise son identité. Il assure qu'il pourrait être emprisonné pour atteinte à la sécurité de l'État s'il critiquait ouvertement le président. «Si vous me rappelez lorsque l'état d'urgence sera levé, vous pourrez citer mon nom sans problème.»

Quand Mikheïl Saakachvili a démissionné avec fracas de son poste de ministre de la Justice de la Géorgie, en 2001, notre interlocuteur a applaudi. Dans son discours démissionnaire, Saakachvili déclarait qu'il serait «immoral de rester membre du gouvernement (d'Édouard) Chevardnadze». Le régime de cet ancien ministre soviétique des Affaires étrangères était corrompu.

Avocat à New York

En novembre 2003, le système Chevardnadze explose. À l'appel de Saakachvili, des milliers de Géorgiens descendent dans les rues de la capitale, Tbilissi, pour dénoncer les résultats frauduleux des élections législatives.

Ils ont une rose à la main et l'offrent aux policiers qui gardent le parlement de Tbilissi. L'image est forte, remplie d'espoir de voir naître une réelle démocratie dans un coin de la planète habitué à l'autoritarisme. Saakachvili est sur toutes les chaînes du monde. En anglais comme en français, il persuade l'Occident qu'il est l'homme de la situation.

Chevardnadze cède. Le «renard blanc du Caucase» préfère la démission au bain de sang. La «Révolution des roses», comme l'ont baptisée les médias, l'emporte.

Le 4 janvier 2004, Saakachvili, alors âgé de 36 ans, est élu chef de l'État géorgien avec plus de 96% des voix. Rapidement après son arrivée au pouvoir, il lance des réformes pour sauver le pays de la faillite. «Micha» est radical.

Il veut effacer toute trace du régime soviétique dans son pays natal et en faire un État occidental, libéral. Un peu selon le modèle des États-Unis, où il a étudié le droit pour ensuite travailler comme avocat à New York.

Il n'est plus un héros

Après quelques mois de lune de miel, certains Géorgiens commencent à déchanter. Des ministres passent volontairement à l'opposition. D'autres sont congédiés par le président, qui les juge inefficaces ou carrément corrompus.

En novembre 2007, les grandes manifestations antigouvernementales recommencent dans la capitale. Cette fois, «Micha» n'est plus le héros. On l'accuse d'avoir «vendu le pays» aux Américains et aux Russes. Sur ordre du président, les policiers dispersent les contre-révolutionnaires dans la violence. L'état d'urgence est décrété. Les médias sont censurés.

L'image internationale de Saakachvili en prend un coup. L'Occident doute. Mais l'ami personnel de George Bush sait rassurer. Il met son siège en jeu pour prouver sa foi en la démocratie. Le 5 janvier 2008, il est réélu avec 52,5% des votes, la plus faible victoire électorale de l'histoire de la Géorgie.

En juin, les Géorgiens interrogés par La Presse dans les rues de Tbilissi étaient fortement divisés sur le bilan de leur président. Plusieurs disaient qu'il les avait trahis. Les autres se rappelaient la situation catastrophique du pays à la veille de la révolution et constataient une forte amélioration de leur qualité de vie en quatre ans.

Contre les séparatistes

À son arrivée à la tête de l'État, Saakachvili avait notamment promis de rétablir l'intégrité territoriale de la Géorgie. À ce moment, trois régions du pays se considéraient comme indépendantes de Tbilissi.

En quelques mois, le jeune président réussit à chasser le clan d'Aslan Abachidze du pouvoir dans la première: l'Adjarie. Mais l'Abkhazie et l'Ossétie-du-Sud, collées géographiquement à la Russie, résistent.

Saakachvili refuse tous les traités de non-usage de la force proposés par les séparatistes au cours des années. Selon lui, la Russie, qui dispose de forces dites de «maintien de la paix» dans les deux républiques autoproclamées, cherche sournoisement à les annexer.

Fin 2006, après l'un des nombreux incidents diplomatiques, la frontière russo-géorgienne est fermée. Pendant plus d'un an et demi, toutes les communications entre les deux pays sont interrompues. «Il n'a aucune compréhension des mots négociations, compromis et excuses», commente l'ancien allié de Saakachvili.

Les Géorgiens le soutiennent

Dans la nuit du 7 au 8 août, le président a joué son va-tout. Il a lancé une vaste offensive contre les indépendantistes de l'Ossétie-du-Sud. La Russie s'est portée à leur défense avant de franchir la frontière, d'attaquer et d'occuper le tiers de la Géorgie.

Reprenant les mots de Saakachvili, le président américain a jugé «démesurée» la réplique russe et a accusé la Russie de vouloir «renverser» le gouvernement de son voisin. Les accusations de «crimes de guerre» lancées par Moscou contre le président géorgien n'ont pas été prises au sérieux par l'Europe et les États-Unis.

En Géorgie, Mikheïl Saakachvili tient le coup. «La population ne le soutient pas tellement parce que c'est un bon leader que parce que nous sommes en situation de guerre», précise Aleksander Rousetski, directeur du Centre de sécurité régionale du Sud-Caucase de Tbilissi.

L'ancien ami anonyme du président croit toutefois que la situation actuelle arrange bien Mikheïl Saakachvili. «C'est un pompier. Il a toujours besoin d'un feu à éteindre. Il saura transformer sa défaite en victoire.»

---

En bref

- Nom: Mikheïl Saakachvili

- Fonction: président de la Géorgie depuis le 4 janvier 2004, réélu le 5 janvier 2008.

- Naissance: né à Tbilissi (République socialiste soviétique de Géorgie) le 21 décembre 1967.

- Études: droit (Kiev, New York et Washington), droits de l'homme (Strasbourg).

- Langues maîtrisées: géorgien, anglais, français, russe et ukrainien.

- Situation familiale: marié à une Néerlandaise, Sandra E. Roelofs. Père de deux fils, Edouard et Nikoloz.