La capitale de l'Ossétie-du-Sud, détruite dans sa majeure partie par les intenses bombardements géorgiens, est maintenant entièrement sous contrôle russe. Les quelques Ossètes qui n'ont pas fui Tskhinvali rageaient encore hier de la férocité de l'attaque menée par la Géorgie pour reprendre le contrôle de leur république sécessionniste. Notre envoyé spécial en a rencontrés dans les ruines.

Comme plusieurs de ses concitoyens, Elena avait cru Mikheïl Saakachvili. Lorsque le président géorgien a annoncé à la télévision qu'il voulait négocier avec les indépendantistes ossètes jeudi soir dernier, elle n'aurait jamais pensé qu'un missile dévasterait quelques heures plus tard son appartement du centre de Tskhinvali, capitale de l'Ossétie-du-Sud.

Encore sous le choc, elle raconte comment son mari, blessé par les éclats d'obus, a failli y passer. «Nous sommes restés dans le sous-sol de l'immeuble durant cinq jours et cinq nuits. Nous étions 11 habitants de l'édifice, avec des provisions d'eau et de pain. Le sang coulait. Nous n'avons pu sortir mon mari qu'après deux jours, lorsque nos forces de maintien de la paix sont arrivées!» crie l'Ossète de 60 ans, en parlant des soldats russes.

«Seule la Géorgie et (son président) Saakachvili peuvent faire ça au XXIe siècle!» ajoute-t-elle, avant de se mettre à pleurer à la vue de sa chambre éventrée. Après plus de deux décennies de conflit avec les Géorgiens, Elena exclut encore plus aujourd'hui toute possibilité de réconciliation. «Je ne veux plus rien savoir de cette nation.»

Opérer dans le noir

La détresse d'Elena est loin d'être exceptionnelle à Tskhinvali. Chaque habitant avait hier ses malheurs à raconter lors du passage d'une trentaine de journalistes russes et étrangers, dont le représentant de La Presse, à l'invitation des autorités russes.

Transportés par autocar puis par véhicule blindé depuis l'Ossétie-du-Nord voisine, les représentants des médias ont pu constater l'ampleur de la dévastation dans Tskhinvali. Ils devaient toutefois se plier aux strictes exigences sécuritaires des militaires, alors que des coups de feu se faisaient encore entendre sporadiquement en périphérie de la ville.

À l'hôpital républicain de Tskhinvali, les cinq jours de bombardements ont été littéralement un enfer. Deux missiles ont atteint les étages du bâtiment et tous les patients ont été transférés dans le sous-sol, désaffecté et insalubre. «C'était mieux que de les laisser mourir dans la rue», justifie presque la docteure en chef adjointe, Lioudmila Kelekhsaïeva, qui n'a pas quitté l'hôpital durant toute la durée des combats.

Au cours des deux premiers jours, sans diesel pour faire fonctionner la génératrice électrique, les médecins ont dû opérer à l'aveuglette, alors que les blessés affluaient. À l'arrivée des forces russes, les 280 blessés accueillis ont tous été transférés à Vladikavkaz, en Ossétie-du-Nord (Russie). «Personne n'a eu le temps de mourir ici», souligne Mme Kelekhsaïeva, qui croit que les troupes géorgiennes ont «intentionnellement» ciblé son établissement.

Enterrés avec les moyens du bord

L'hôpital, le principal de Tskhinvali, a aussi reçu «tous les cadavres» qui pouvaient être transportés à travers la ville durant les hostilités, soit 44. La docteure Kelekhsaïeva juge-t-elle tout de même fiable le chiffre de 1600 victimes avancé par les autorités russes et ossètes? «C'est peut-être même plus», dit-elle, expliquant que la majorité des morts ont dû être enterrés avec les moyens du bord par les proches.

Quelques kilomètres plus loin, Ruslan emmène les journalistes dans une cour arrière où il a inhumé sa voisine avec l'aide du mari de celle-ci. La quarantenaire enceinte a été tuée par des fragments d'obus dès la première nuit de bombardements, qui a presque entièrement rasé son quartier.

«Après deux jours, elle commençait à sentir mauvais. Et puisque les balles volaient partout, nous l'avons enterrée ici», explique l'homme, en montrant la tombe de fortune, faite de débris de bois et de métal.

À notre passage, une équipe sanitaire venait d'arriver sur les lieux pour exhumer le corps afin de l'enterrer plus décemment.

Car la situation commence tranquillement à s'améliorer dans la capitale sud-ossète. Lundi, les autorités russes ont commencé à distribuer de l'eau coupée dès le début de l'offensive et des vivres aux citoyens. La reconstruction est toutefois encore loin d'être commencée.

Des villages géorgiens brûlent

Les civils ne sont pas seuls à être victimes de la guerre en Ossétie-du-Sud. Hier, La Presse a pu constater que des maisons brûlaient toujours dans les villages à majorité géorgienne de la petite république indépendantiste, désertés en raison des hostilités. Sur la route qui mène de la frontière russe à Tskhinvali, la capitale, des flammes ravageaient au moins deux maisons dans le village de Kekhvi et une dans un autre village.

Selon un militaire russe, les volontaires de l'armée ossète se vengent de l'agresseur géorgien en dévastant à leur tour des villages. Impossible toutefois de savoir si les troupes russes, présentes dans ces localités, étaient impliquées dans les incendies. Selon un porte-parole des autorités russes, Aleksander Matchievski, «quelques» feux ont été déclenchés par des Ossètes, mais la majorité est due à des pilleurs, aux derniers combats avec des soldats géorgiens isolés ou à des tuyaux de gaz éclatés.