La Cour constitutionnelle turque a rejeté mercredi une demande d'interdiction du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, évitant à la Turquie une crise politique majeure et de nouvelles tensions avec l'Union européenne.

«Il a été décidé de ne pas dissoudre le Parti de la justice et du développement (AKP)», issu de la mouvance islamiste, a annoncé le président de la cour Hasim Kiliç.

Mais «le fait que 6 juges (sur 11) se soient prononcés en faveur d'une interdiction constitue un sérieux avertissement adressé à ce parti», accusé d'«activités anti-laïques», a souligné M. Kiliç.

Un accord de sept juges, c'est-à-dire une majorité qualifiée, était nécessaire pour interdire l'AKP.

La Cour a également rejeté la demande d'interdire à 71 membres de l'AKP, dont le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, d'appartenir à un parti pendant cinq ans.

Les juges, à l'issue de trois jours de délibérations, ont cependant décidé de priver l'AKP de la moitié de son financement public pour cette année --soit environ 25 millions d'euros, selon l'agence Anatolie.

Le premier ministre a réagi en assurant que son parti continuerait à protéger la laïcité. «L'AKP n'a jamais été le foyer d'activités anti-laïques», comme l'en a accusé le procureur général pour demander son interdiction, a-t-il affirmé devant un parterre survolté de ses partisans au siège de l'AKP à Ankara.

«L'AKP continuera de protéger les valeurs de la République» dont le pilier est la laïcité, a-t-il lancé, tandis que ses supporteurs criaient: «la Turquie est fière de toi».

Il a souligné la nécessité de «renforcer la paix sociale en Turquie», ajoutant que l'AKP agirait de façon à «rassembler tous les Turcs», quelle que soit leur appartenace politique.

Le président du Parlement Köksal Toptan, membre de l'AKP, a jugé que l'arrêt aurait «un impact très favorable pour réduire les tensions». «C'est une décision qui nous fait dire +ouf!+», a-t-il lancé.

Le chef du Parti républicain du peuple (CHP, opposition pro-laïque) au Parlement, Deniz Baykal, a pour sa part rappelé qu'une majorité des juges avaient voté pour une interdiction, y voyant une «confirmation» des accusations portées contre l'AKP.

Cihan Paçaci, un dirigeant du parti d'opposition de l'Action nationaliste (MHP), a exhorté le gouvernement à «tirer les leçons» de la décision des juges. «Le pays a été polarisé entre laïcs et musulmans, ce n'est pas correct. Il revient au gouvernement de faire tomber la tension», a-t-il estimé sur la télévision NTV.

Le chef d'état-major de l'armée, qui se pose en gardienne de la laïcité, le général Yasar Büyükanit, s'est contenté de déclarer à la presse: «Les convictions des forces armées sur la laïcité n'ont jamais changé».

L'UE, avec laquelle la Turquie a entamé en 2005 des négociations d'adhésion, qui avancent péniblement depuis, a pris «bonne note» du jugement, par la voix du commissaire à l'Elargissement, Olli Rehn. Il a dans la foulée invité «la Turquie à reprendre à présent avec vigueur ses réformes pour moderniser le pays».

Cette procédure était la première ouverte en Turquie contre un parti au pouvoir. La Cour constitutionnelle a fermé 24 partis depuis sa création en 1962.

L'AKP, créé en 2001 et arrivé au pouvoir l'année suivante, avait remporté les dernières législatives avec près de 47% des suffrages l'an dernier.

Il avait dénoncé la demande d'interdiction comme un «coup d'État judiciaire» pour l'écarter du pouvoir.

Le parti s'est attiré les foudres des milieux pro-laïcs en faisant accéder à la présidence l'un des siens, Abdullah Gül, et en tentant de légaliser le port du foulard dans les universités par un amendement à la constitution passé en février, puis annulé par la Cour constitutionnelle.