Aujourd'hui, des diplomates de l'Iran et des États-Unis s'assoiront face à face. Pour la première fois, ils discuteront du programme nucléaire iranien. Hier, le régime des ayatollahs s'est dit prêt à discuter de l'ouverture d'un bureau diplomatique américain à Téhéran et du rétablissement de vols directs entre l'Iran et les États-Unis. Tout un revirement de situation pour deux pays qui, la semaine dernière encore, n'échangeaient que des menaces. Mais est-ce assez pour oublier des décennies de méfiance?

Aujourd'hui, des diplomates de l'Iran et des États-Unis s'assoiront face à face. Pour la première fois, ils discuteront du programme nucléaire iranien. Hier, le régime des ayatollahs s'est dit prêt à discuter de l'ouverture d'un bureau diplomatique américain à Téhéran et du rétablissement de vols directs entre l'Iran et les États-Unis. Tout un revirement de situation pour deux pays qui, la semaine dernière encore, n'échangeaient que des menaces. Mais est-ce assez pour oublier des décennies de méfiance?

«George W. Bush a servi la cause du régime islamique comme personne ne l'avait jamais fait avant.» Abolhassan Banisadr, premier président de la République islamique iranienne, laisse échapper un long soupir après avoir prononcé cette phrase.

Aujourd'hui en exil en France, le politicien iranien constate que chacune des manoeuvres belliqueuses du président américain, loin d'ébranler les mollahs de Téhéran, leur a plutôt permis de consolider leur pouvoir. À l'externe, en les débarrassant de leurs deux pires ennemis: Saddam Hussein et les talibans. À l'interne, en paralysant les forces pro-démocratiques.

«Le régime islamique n'a le soutien que d'environ 5% de la population. Mais devant les menaces quasi quotidiennes d'attaques militaires et de sanctions économiques, devant la menace de la désintégration du pays, les forces progressistes de l'Iran ont préféré ne pas bouger. Elles ont été neutralisées. Elles sont en attente», estime l'ex-président, que La Presse a joint par téléphone hier.

Il rappelle que, avant 2001, le mouvement pro-démocratie était en pleine ébullition en Iran. Des groupes étudiants tenaient tête au régime. Artistes et intellectuels prenaient plus de libertés. «Mais depuis que les États-Unis ont décidé de mettre l'Iran dans «l'axe du Mal», il ne se passe plus rien», estime Abolhassan Banisadr, toujours actif politiquement malgré 27 ans d'exil.

Élu président après la révolution de 1979 - il a gardé le pouvoir de 1980 à 1981 -, il a presque cru à une mauvaise blague quand il a lu l'article publié le 7 juillet dans le New Yorker, dans lequel le journaliste Seymour M. Hersh avance que l'administration Bush a débloqué un budget de 400 millions de dollars pour mener des opérations secrètes en Iran «afin de déstabiliser le régime». Au bout du fil, il rit jaune. «Cette somme n'est rien contre un gouvernement qui a une armée qui lui est loyale et qui a en main des milliards de dollars en revenus pétroliers!» souligne-t-il.

Une plaie ouverte

Pourtant, à une époque, la CIA a réussi à fomenter un coup d'État avec bien moins. Entre 1 et 10 millions de dollars avaient suffi pour faire tomber le premier président élu de l'Iran, Mohammad Mossadegh. La population, prise de court, n'avait pas bougé devant le renversement mené de concert par les services secrets américains, le shah d'Iran, les religieux chiites et l'armée.

Étudiant à l'époque, Abolhassan Banisadr se souvient encore de la profonde humiliation qu'il avait ressentie en apprenant que le président Mossadegh, qui croyait à la nationalisation du pétrole, avait été démis de ses fonctions.

La plupart de ses concitoyens ont éprouvé le même sentiment d'humiliation. Aujourd'hui, la plaie laissée par cet événement, qui a changé le visage de l'Iran et ouvert la voie à la révolution iranienne contre le régime du shah, en 1979, est encore ouverte.

Il est presque impossible de parler politique avec un Iranien de 20 ou de 50 ans sans que le rôle de la CIA et de la police secrète britannique dans les affaires internes du pays ne soit évoqué. «Pour le peuple iranien, la pire des choses, c'est d'être méprisé», laisse tomber Abolhassan Banisadr, qui, à 75 ans, rêve encore d'un pays qui choisira son destin.

L'après Bush

L'ex-président n'est pas le seul à constater l'échec de la politique américaine en Iran au cours des dernières années. Les spécialistes de l'Iran interrogés par La Presse soutiennent que le régime islamiste a tendance à resserrer son autorité sur la population chaque fois que les États-Unis claironnent qu'ils soutiennent l'opposition.

«Quand, il y a deux ans, les Américains ont dit qu'ils avaient donné 75 millions pour soutenir les dissidents, ça a renforcé le régime, justifié sa propagande et augmenté la répression. Les premières victimes sont toujours les dissidents non violents, les organisations non gouvernementales et les groupes de femmes», expose Houchang Hassan-Yari, professeur et directeur du département de science politique et d'économique du Collège militaire royal du Canada.

Comment expliquer alors que le régime, qui a tant bénéficié de la rhétorique de guerre américaine, accepte soudain, après 30 ans de guerre froide, de considérer la réouverture d'un bureau diplomatique américain à Téhéran?

«En se montrant ouverts diplomatiquement, les conservateurs en Iran gagnent du temps jusqu'aux prochaines élections présidentielles américaines. Ils préféreraient arriver à une entente avec Barack Obama ou John McCain», estime Ali Dizboni, lui aussi professeur au Collège militaire de Kingston. Car malgré les nouveaux sourires des diplomates, la méfiance envers l'administration Bush demeure presque intacte, à Téhéran.