Désiré Munyaneza ne figurait pas parmi les miliciens qui ont massacré des milliers de Tutsis et de Hutus modérés dans la ville rwandaise de Butare lors du génocide de 1994, affirment trois témoins dont les dépositions viennent d'être rendues publiques par la Cour supérieure du Québec.

M. Munyaneza, fils d'un commerçant aisé de Butare, dans le sud du pays, est arrivé au Canada en 1997 avec un faux passeport camerounais. Il a été arrêté en 2005 puis accusé de crimes contre l'humanité, génocide, viols et pillages. Son procès s'est ouvert en mars 2007.

La Cour s'est déplacée à la fin du mois de janvier à Paris, afin d'entendre trois témoins de la défense résidant en Europe et qui, pour des raisons de santé ou des questions d'immigration, ne pouvaient pas se rendre au Canada.

1400 pages d'interrogatoires

Près de 1400 pages d'interrogatoires ont été collectées et ont récemment été mises à la disposition des journalistes au palais de justice de Montréal, après que les éléments confidentiels, tels que les noms, eurent été caviardés. Les deux femmes et l'homme entendus ont raconté leurs expériences du génocide, qui a fait 800 000 morts entre avril et juillet 1994. Tous les trois vivaient alors à Butare, comme Désiré Munyaneza.

Une femme, appelée DDM-6, a dit qu'aux heures les plus sombres du génocide, c'est dans la maison de l'accusé qu'elle a trouvé refuge. C'est aussi dans cette maison que deux témoins de la poursuite avaient dit plus tôt dans le procès avoir été séquestrés et violés.

Aux premiers jours des massacres, la femme a fui la capitale Kigali pour la ville de Butare, craignant pour sa sécurité et celle de son bébé de deux mois, car «moitié hutue, moitié tutsie». Elle avait donc pris la route, escortée par son mari, capitaine de la garde présidentielle de l'armée rwandaise -dont certains hauts généraux ont été reconnus coupables d'être les cerveaux du génocide.

Elle a été hébergée au domicile de Désiré Munyaneza. Pas un bourreau, c'est un jeune homme calme et bienveillant que DDM-6 raconte avoir côtoyé. Selon elle, les activités quotidiennes de celui qui encourt la prison à vie se résumeraient à la tenue du magasin familial et à la fréquentation de sa petite amie. «Il nous disait: je ferai tout ce que je pourrai pour vous protéger», a-t-elle dit. C'est le premier témoin de la défense qui affirme avoir fréquenté l'accusé tout au long du génocide.

D'autres témoignages

S'ils n'ont pas raconté avoir autant côtoyé Désiré Munyaneza entre avril et juillet 1994, les deux autres témoins entendus à Paris ont livré des témoignages assez exhaustifs en ce qui a trait aux atrocités commises par les miliciens Interahamwe.

Des témoins de la poursuite avaient affirmé que l'accusé était l'un des meneurs de ces bandes armées, qui ont perpétré la majeure partie des massacres, à l'aide de machettes et de gourdins.

«Désiré n'a jamais été Interahamwe», a dit DDM-7, une amie de la famille de M. Munyaneza qui connaît l'accusé depuis qu'il est né. «J'étais à Butare. Je connais Désiré. Il n'a jamais trempé dans ces histoires», a-t-elle poursuivi, suggérant qu'il était victime de «la vengeance» d'individus jaloux de lui. Si DDM-7 a souvent vu des groupes de miliciens, jamais elle n'a vu l'accusé en leur compagnie.

Cette affirmation est corroborée par le dernier témoin, DDM-1, un homme qui a étudié dans le même établissement scolaire que M. Munyaneza, sans toutefois être proche de lui. Avant le génocide, DDM-1 s'occupait d'un orphelinat en banlieue de Kigali. Dès le début des massacres, des réfugiés ont afflué et le 12 avril, ce sont 700 à 800 personnes, dont 400 enfants, qui ont été hébergées dans le centre. Pour mettre en sécurité tout le monde, on a décidé l'évacuation vers une école de Butare.

Jusqu'à la fin des combats, DDM-1 va s'efforcer de protéger tous ces Tutsis. Plusieurs fois, des miliciens ont franchi les portes de l'établissement pour s'emparer des enfants ou les liquider sur place. Mais jamais DDM-1 n'a vu Désiré Munyaneza. Pas même le jour où une centaine d'Interahamwe a débarqué.

Selon DDM-1 et DDM-7, la direction des miliciens revenait uniquement à Shalom Ntahobali, un homme jugé au Tribunal pénal international pour le Rwanda depuis 2001.

Certains témoins de la poursuite avaient indiqué plus tôt dans le procès que MM. Ntahobali et Munyaneza étaient les deux meneurs.

Convaincre le juge

Il reste maintenant à savoir si ces nouveaux éléments convaincront le juge André Denis.

Au début du mois d'avril, le magistrat avait déclaré avoir identifié «de grands pans de témoignages» qu'il ne retiendra pas au moment du jugement car «ils ne sont pas pertinents».

Le procès reprend le 8 septembre, avec l'audition des neuf derniers témoins. Le jugement ne devrait pas être rendu avant Noël.