Un an après leur libération les cinq infirmières et le médecin bulgares, condamnés à mort et emprisonnés en Libye, savourent leur liberté retrouvée, mais restent hantés par les cauchemars des tortures qu'ils ont subies et se sentent abandonnés.

«Je veux regarder en avant. Mais le cauchemar qu'on m'enlève, qu'on m'étrangle ou que des chiens noirs me mordent hante mes rêves et je pleure dans mon sommeil», confie Valia Tcherveniachka qui a repris son poste d'infirmière à l'hôpital de Biala Slatina (nord-ouest) après huit ans et demi dans une geôle libyenne.

Les six praticiens affirment avoir été torturés avec des électrochocs et livrés aux chiens policiers pour leur extorquer des aveux alors qu'on les accusait d'avoir inoculé le virus du sida à 438 enfants libyens dont 56 sont décédés, thèse démentie par les experts internationaux du virus HIV.

«Quand je demandais de l'eau lors des tortures, la surveillante m'enfonçait sa tong dans la bouche», se rappelle Valia.

«A la prison, les exécutions s'effectuaient non loin de notre cellule. Nous vivions la mort chaque fois que la porte s'ouvrait», dit-elle.

Condamnés à mort à deux reprises, les praticiens ont vu leur peine commuée en prison à vie ouvrant la voie à l'extradition. Ils ont été graciés par le président bulgare à leur arrivée à Sofia le 24 juillet dernier, accompagnés depuis Tripoli par Cécilia Sarkozy, l'ex-épouse du président français, et la Commissaire européenne Benita Ferrero-Waldner.

Un an après sa libération, Valia a du mal à s'habituer à la misère dans son pays. Elle touche l'équivalent de 136 euros par mois. Les conditions à l'hôpital «ont peu changé en dix ans», dit-elle en montrant les matelas éventrés sur les lits des enfants.

Valia est en contact permanent avec une autre infirmière libérée, Valentina Siropoulo, revenue, elle aussi, travailler en pédiatrie à l'hôpital de Pazardjik (sud). La prison hante aussi ses rêves. «Je suis tombée au mauvais endroit au mauvais moment», dit-elle résignée.

Nassia Nenova et Christiana Valtcheva viennent de finir leur première année d'études de kinésithérapeute à Sofia. «Nous pourrions ouvrir un cabinet privé, ce serait mieux payé,» suggère Nassia qui a divorcé à son retour de Libye.

Snejana Dimitrova qui a publié, comme Christiana, un livre en France sur ses mésaventures, ne peut pas retravailler pour cause d'immobilisation d'un bras suite aux tortures. «Je jouis de ma famille, je respire en liberté», dit-elle.

Marié à une Bulgare rencontrée au lendemain de sa sortie de prison, père d'un garçon de trois mois, le médecin bulgare d'origine palestinienne Ashraf al-Hadjoudj, reste intransigeant. Il a porté plainte contre la Libye devant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève et un tribunal français.

«Je ne raterai aucune occasion, où que ce soit dans le monde, pour intenter un procès au dictateur» libyen «responsable de notre tragédie», dit-il en ajoutant qu'il demande la reconnaissance de «notre innocence et le versement de compensations».

Ashraf qui faisait un stage de fin d'études de médecine au moment de son arrestation en 1999, est sans diplôme et ne peut pas pratiquer. Il vit de petits boulots et ajoute: «Nous sommes citoyens européens, il faut que l'UE nous aide».

Les infirmières ont laissé entendre qu'elles optaient également pour la demande de compensations.

Elles ont certes obtenu des logements, mais ils sont toujours inhabitables car dépourvus d'eau et d'électricité. Quant à la pension promise par le gouvernement bulgare à leur libération, les six l'attendent toujours.

La réaction du président Gueorgui Parvanov a jeté un froid. «Des centaines de milliers, pour ne pas dire des millions, de personnes en Bulgarie ont des problèmes pas moins importants» que ceux des praticiens libérés, a-t-il dit au quotidien 24 tchassa lundi.