Le sujet est pertinent. Le phénomène, loin d’être isolé. Depuis cinq ans, 725 Québécois âgés de 16 à 24 ans sont morts dans des accidents de la route. Entre 2005 et 2009, la vitesse a été mise en cause dans 52 % des décès de conducteurs de ce groupe d’âge ; l’alcool, dans 45 % des cas.



S’il y a un sujet qui mérite d’être traité sous forme de documentaire, c’est bien celui-là. L’animateur radio Paul Arcand présentait hier soir en primeur son nouveau film, Dérapages, qui propose une incursion dans l’univers de ces jeunes pour qui la vitesse est à la fois une drogue, une culture et un mode de vie.

>>> Lisez «Grande première de Dérapages»

Jeunes gens pour la plupart impénitents, qui envisagent la conduite dangereuse comme un risque calculé. Pas comme un geste inconscient, d’extrême irresponsabilité. C’est à peine si l’on devine chez certains d’entre eux le doute ou le remords. Malgré les vies gâchées des proches, malgré les statistiques affolantes, malgré les morts.

On découvre Dérapages et l’on désespère un peu de son jeune prochain. En voyant entre autres ces quatre filles qui ont frôlé la mort, leur voiture abîmée dans le décor, parce qu’elles se rendaient beaucoup trop vite à une fête. Des mois plus tard, elles en rient et en parlent presque comme d’un exploit.

Ou encore l’entourage de ces quatre garçons de Drummondville tués lorsque leur voiture a percuté un arbre à 140 km/h. Ils sortaient d’une fête. Ils étaient imbibés d’alcool. On connaît malheureusement la chanson. « C’est le destin, il n’y a pas de coupable », dit l’un de leurs amis, quelques mois après l’accident, avant d’avouer ne pas avoir changé ses propres habitudes.

C’est dans les confessions candides de ces jeunes gens, qui parlent du « rush » d’adrénaline des pointes de vitesse à 240 km/h de leurs bolides modifiés, de leur sentiment d’invincibilité et d’impunité, que le film de Paul Arcand trouve son intérêt.

Dans le compte rendu de certaines histoires tragiques. Celle de Mikael Borduas, qui n’est plus lui-même depuis qu’un deuxième accident de voiture en cinq ans lié à la vitesse l’a laissé en fauteuil roulant, dans un CHSLD. Celle de Bianca Leduc, tuée à 3 ans par un garçon de 18 ans qui n’avait qu’un permis d’apprenti conducteur, alors qu’elle jouait sur le terrain de sa gardienne.

Les témoignages des parents des victimes offrent de rares moments d’émotion à ce documentaire échevelé, qui s’éparpille dans tous les sens, s’attardant longuement au destin de certains tout en effleurant celui d’autres de manière anecdotique.

On sent dans son ton et son propos la mission que s’est donnée Paul Arcand en réalisant (et en scénarisant) ce documentaire : celle de faire œuvre utile. C’était du reste flagrant dans Les voleurs d’enfance, sur les abus faits aux enfants, en 2005, et dans Québec sur ordonnance, sur l’industrie pharmaceutique, en 2007.

Cela dit, et Arcand l’admet lui-même : son film ne propose pas de solutions. Aucun expert n’a été interrogé et l’animateur n’aborde que brièvement la question de l’âge requis pour obtenir un permis de conduire, que plusieurs aimeraient voir passer de 16 à 18 ans.

Paul Arcand semble d’ailleurs davantage militer pour une responsabilisation des parents que pour un meilleur encadrement de l’État. Il estime, sans doute avec raison, qu’il n’y a pas de solution miracle, et que ce n’est pas la nouvelle règle de « tolérance zéro » à l’alcool pour les conducteurs de moins de 21 ans qui va changer profondément leurs habitudes.

Le populaire animateur souhaite que son film suscite une discussion entre les parents et leurs enfants. Les jeunes qu’il interroge n’hésitent d’ailleurs pas à accuser leurs aînés plutôt que de pratiquer l’introspection. Il faut entendre deux d’entre eux raconter comment leurs propres pères se sont fait confisquer leur permis pour conduite en état d’ébriété. Bel exemple…

Reste la question du traitement. On est au cinéma, qui n’est pas toujours un art, mais un médium avec ses codes et ses règles. On ne s’improvise pas cinéaste. Et on ne réalise pas un film destiné au grand écran comme un reportage de J.E. (ce qui est le cas, en l’occurrence).

D’un point de vue formel, Dérapages ressemble à une Honda Civic modifiée, aileron en prime. Sa réalisation, qui multiplie les effets malheureux (abus de fondus enchaînés et d’accélérés, reconstitutions bancales, passage incongru au noir et blanc), est rébarbative et maladroite. La musique tonitruante est envahissante et le montage, d’un rythme quasi stroboscopique. Oui, on a compris : ça va vite parce que c’est un film sur la vitesse…

Ajoutez à cela que la narration de Paul Arcand est statique – ce qui est étonnant de la part d’un homme de radio d’expérience – et l’on comprend mal qu’il ne se soit pas mieux entouré encore une fois. D’un coréalisateur, par exemple.

N’empêche qu’à force de tout souligner en gras avec les effets à sa disposition, Paul Arcand – qui fait des efforts inouïs pour émouvoir dans une dernière séquence particulièrement ratée de son film –, finit par marteler son message. C’est la méthode Arcand qui, à défaut d’être subtile, reste efficace.