Douze heures par jour, installé à son étal de confiseries, Raju Misra inhale des fumées toxiques tout en pestant contre l'inaction des politiques, au coeur de la zone la plus polluée de New Delhi.

La colère et l'inquiétude montent dans la tentaculaire capitale indienne, classée capitale la plus polluée du monde par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Et le danger est encore plus fort pour Misra et pour une myriade d'autres vendeurs de rue et de conducteurs de rickshaws postés au coeur du terminal de bus d'Anand Vihar.

Cerné par d'énormes artères encombrées de vieux camions, de chantiers de construction empoussiérés et situé à proximité d'une centrale à charbon, le quartier affiche régulièrement des taux de particules fines bien pires que dans le reste de la ville.

«Le matin, on voit le brouillard et la fumée dus à la pollution», dit Misra, qui peine à se faire entendre dans le vacarme des bus.

«Nous voulons que la circulation automobile soit réduite. La population et les politiques doivent s'unir pour réduire la pollution à Delhi», estime ce sexagénaire, installé derrière son comptoir.

Delhi est plongée depuis quelques semaines dans un brouillard toxique réduisant la visibilité et poussant le taux de microparticules pm 2,5 (particules dont la moitié a un diamètre inférieur à 2,5 microns, selon la classification de l'OMS) à un niveau dix fois supérieur aux recommandations de l'OMS.

Ces particules fines, qui s'installent profondément dans les poumons et peuvent passer dans le système sanguin, sont responsables de taux plus élevés que la moyenne de bronchites chroniques, cancers du poumon et maladies cardiaques.

L'experte Anumita Roychowdhury souligne que les personnes âgées et les enfants sont les plus vulnérables, en particulier les familles pauvres vivant dans les quartiers les plus exposés.

Atteinte des poumons irréversible 

«Les enfants aspirent plus d'air que nous. Et les études montrent que les dégâts infligés aux poumons peuvent être irréversibles», dit à l'AFP Mme Roychowdhury, qui travaille pour le think-tank spécialisé dans les questions d'environnement Centre for Science and Environment (CSE) basé à Delhi.

Dans les étroites et sombres allées derrière le terminal de bus, quartier composé de petites maisons, les trois enfants de Janti Devi restent chez eux après l'école plutôt que de jouer dehors.

«Je n'envoie pas mes enfants jouer au parc. Je ne veux pas qu'ils tombent malades, qu'ils attrapent froid ou de la fièvre à cause de la poussière», dit cette femme de 28 ans qui vit à Anand Vihar depuis 15 ans.

Devi, dont le mari gagne 8000 roupies par mois (165 $) comme ouvrier à l'usine, explique qu'elle travaille dur pour préserver sa maison de la poussière, mais se sent démunie une fois dehors avec ses enfants.

La justice indienne presse les autorités de la capitale d'agir pour améliorer la situation. Elle a décidé mercredi de suspendre les ventes de véhicules diesel les plus gourmands.

«Pourquoi un riche peut-il se déplacer avec une voiture diesel et polluer l'environnement?», a dit le premier juge de la Cour suprême T.S. Thakur lors de l'audience.

La Cour a aussi interdit aux milliers de camions diesel les plus anciens d'entrer dans la capitale, comme ils le font chaque nuit pour éviter les péages de contournement.

Les autorités de Delhi ont, de leur côté, décidé d'expérimenter la circulation alternée à compter du 1er janvier. Plus de 1400 nouveaux véhicules viennent grossir chaque jour la flotte de 8,5 millions de voitures roulant dans les rues de la capitale indienne.

Les experts sont dubitatifs sur la faisabilité de la circulation alternée, étant donné que la police dépend du gouvernement indien, qui entretient de mauvaises relations avec l'exécutif de la capitale.

Mais le ministre indien de l'Environnement Prakash Javadekar a assuré qu'il n'y aurait «aucune querelle» à propos de la lutte contre la pollution à Delhi.

La directrice du CSE, Sunita Narain, estime que les politiques se retrouvent mis en demeure par la justice d'agir, sur fond de prise de conscience croissante de la société.

Cette prise de conscience ne concerne «pas seulement la classe moyenne et ceux qui peuvent fuir Delhi. Les gens qui peuvent quitter Delhi le font ou achètent des purificateurs d'air», dit-elle.

«Je pense que l'inquiétude est forte à Delhi aujourd'hui».