La fermeture de cinq laboratoires fédéraux qui surveillent la pollution chimique dans les lacs et les océans soulève l'indignation dans les milieux scientifiques au pays.

Environ 200 chercheurs et professeurs demandent au premier ministre Stephen Harper de revenir sur cette décision prise par Pêches et Océans Canada dans la foulée du dernier budget fédéral.

Peter Hodson, professeur de biologie à l'Université Queen's, à Kingston, a fait parvenir une lettre en ce sens hier à M. Harper.

«En dernière analyse, les programmes de recherche qui protègent les poissons et les mammifères marins sont les mêmes qui vont protéger les Canadiens et leur économie des effets néfastes de la contamination chimique», écrit M. Hodson dans une lettre que La Presse a obtenue.

Les cinq laboratoires de Pêches et Océans Canada qui étudient les polluants chimiques ont subi des coupes importantes ou des fermetures au cours des dernières semaines. Ils sont situés à Sidney (C.-B.), Winnipeg, Burlington (Ontario), Mont-Joli, Moncton et Dartmouth (N.-É.). Depuis plusieurs décennies, ils jouent un rôle crucial dans l'identification des menaces chimiques sur l'environnement. Ces laboratoires ont prouvé, par exemple, la contamination des bélugas par les produits chimiques industriels ou l'effet du phosphore des détergents sur les lacs.

Le ministre fédéral des Pêches et Océans, Keith Ashfield, a jusqu'ici refusé de répondre aux questions de La Presse sur les raisons de la fermeture des laboratoires. Hier, aux Communes, il a évoqué la possibilité de privatiser l'un des cinq laboratoires, l'Experimental Lakes Area.

«Les conservateurs veulent travailler dans l'ombre, affirme de son côté Philip Toone, député néodémocrate de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et critique en matière de pêches et océans pour la côte Est. Ils ne veulent plus voir d'études sur les impacts des développements économiques qu'ils proposent, surtout les hydrocarbures. Le pouvoir discrétionnaire des ministres explose et la surveillance scientifique disparaît.»

Discipline ciblée

Les réponses officielles sur les raisons des coupes sont venues des fonctionnaires du Ministère. Ils rappellent que 400 postes sur 11 000 disparaîtront à Pêches et Océans Canada, soit 4%, pour une économie de 79,3 millions.

«Mais c'est 55 emplois et 100% de tous les postes en écotoxicologie et en chimie de l'environnement, répond M. Hodson. Ils éliminent complètement la discipline.»

Pourquoi cette discipline a-t-elle été ciblée?

«Pêches et Océans Canada repositionne l'utilisation de ses ressources consacrées à la recherche vers des secteurs prioritaires qui soutiennent directement la gestion des pêches et la conservation», affirme-t-on.

«Le Ministère mettra fin aux activités de recherche sur les effets biologiques des contaminants et des pesticides. Le Ministère mettra sur pied un groupe consultatif pour assurer que les priorités ministérielles sont atteintes. Un fonds de recherche de 1,4 million sera établi pour permettre au Ministère de faire face aux priorités.»

Parmi les scientifiques qui ont perdu leur poste, mentionnons le biologiste Peter Ross, de l'Institut des sciences de la mer de Sidney, en Colombie-Britannique. Il est l'un des plus grands experts mondiaux de la pollution chimique touchant les mammifères marins.

Le vétérinaire pathologiste Daniel Martineau, de la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, est signataire de la lettre. Selon lui, les coupes fédérales sont «dévastatrices autant pour la science que pour le milieu environnemental» et elles témoignent d'un choix idéologique.

«Avec tous les problèmes environnementaux que l'on a maintenant, le gouvernement Harper a choisi simplement de supprimer les moyens qu'il avait de détecter la pollution», dit-il.

«Les mammifères marins, c'est comme les humains, ajoute-t-il. Ils sont en haut de la chaîne alimentaire. On a d'abord trouvé que les bélugas étaient contaminés. Ensuite, Peter Ross a trouvé que les orques l'étaient encore plus. Ça nous montre ce qui va nous arriver par la suite. On voit que les mères inuites sont contaminées par des produits chimiques et transmettent les contaminants à leurs enfants par le lait maternel. Et, dans une moindre mesure, les mères du reste du continent aussi. Tout ça a commencé par être observé chez les mammifères marins. C'est de la recherche qui a été faite en partie à Pêches et Océans Canada.»

Émilien Pelletier, éminent chimiste, titulaire de la chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine, estime que «ces coupes sont désastreuses non seulement pour le ministère des Pêches et Océans, mais pour tout le Canada». «Il n'y a plus aucune voix à l'intérieur du Ministère pour discuter des risques environnementaux au milieu marin», a-t-il affirmé dans un courriel à La Presse.