Les océans qui baignent le Canada n'ont pas changé aux yeux des vacanciers. Mais sous la surface, ils sont de plus en plus méconnaissables, selon les constatations des scientifiques du ministère fédéral des Pêches et Océans.

Les poissons sont de plus en plus petits et se font rares. Les méduses se multiplient. L'eau se réchauffe à plusieurs endroits, pas seulement dans l'Arctique.

Et un phénomène nouveau est maintenant observable dans toutes les zones marines canadiennes: l'acidification.

C'est ce qui ressort du Rapport sur l'état et les tendances des écosystèmes marins, paru l'an dernier, mais passé complètement inaperçu.

Une indifférence que dénonce le Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick (CCNB), l'un des principaux groupes écologistes des Maritimes. «Ce qui est frappant, c'est que les fondations de la chaîne alimentaire s'écroulent, dit David Coon, du CCNB. Du plancton jusqu'aux plus grands prédateurs, il y a des problèmes. Sauf pour des espèces comme les méduses, qui se comportent plutôt bien dans des écosystèmes simples.»

Et si les océans devaient déjà composer avec la surpêche, la pollution chimique et les surcharges de nutriments qui privent des régions entières d'oxygène, l'acidification porte un autre dur coup à des écosystèmes déjà fragilisés.

Les océans s'acidifient en absorbant le gaz carbonique émis par la combustion des carburants fossiles, aussi principal responsable du réchauffement climatique.

Les recherches scientifiques se sont intensifiées depuis que le phénomène a été détecté, en 2003. Dans les dernières semaines, on a appris que des espèces marines très répandues sont menacées par l'acidification.

Dans une eau plus acide, plusieurs fonctions de la faune et de la flore marines sont perturbées: formation des coquilles, tolérance à la chaleur, reproduction, formation des embryons, odorat et même l'ouïe.

Par exemple, selon une recherche publiée le 31 mai dans Biology Letters, le poisson-clown, rendu célèbre dans le film Trouver Nemo, ne semble pas entendre les bruits produits par ses prédateurs quand il a grandi dans une eau plus acide. «Nous avons mis les poissons actuels dans l'environnement du futur et les effets sont potentiellement dévastateurs», affirme le biologiste Steve Simpson, de l'Université de Bristol, en Angleterre. Les chercheurs pensent que, dans une eau plus acide, tout le système sensoriel du poisson est touché.

Autre exemple: si on soumet les moules au taux de gaz carbonique qui est prévu pour 2100, leurs coquilles sont plus fragiles de 20% et elles sont 33% plus petites, selon une recherche publiée le 14 juillet dans le Journal of Experimental Biology.

Dans une autre recherche, publiée le 21 juin dans la revue PLoS Biology, des biologistes ont étudié le processus moléculaire par lequel une espèce de plancton, le coccolithophore, capte le carbonate de calcium dans l'eau pour s'en faire un squelette.

Ils se sont rendu compte que ce processus est très dépendant du taux d'acidité ambiant. «Il sera probablement compromis par l'augmentation du taux de gaz carbonique qui est en train d'acidifier les océans», affirment les chercheurs. Les coccolithophores jouent un rôle primordial dans la régulation du climat parce que, à leur mort, ils emportent le carbone avec eux jusqu'au fond de l'océan.

Une autre recherche d'un institut océanographique britannique conclut que, partout sur la planète, des pêcheries pourraient être touchées par l'acidification des océans. Mais certaines espèces pourraient aussi profiter des difficultés éprouvées par leurs concurrents et prospérer. Impossible pour l'instant de savoir de quel côté se trouveront les espèces commercialement importantes.

«Nous espérons que la recherche, tant sur le plan national qu'international, permettra de savoir quelles espèces seront touchées de façon notable, estiment les auteurs de la recherche, publiée le 7 juillet dans la revue Fish and Fisheries. Il est plausible que certaines espèces commerciales, en particulier les mollusques, subissent les conséquences directes de l'acidification.»

Pêches et Océans Canada a lancé quelques recherches sur le sujet. Par exemple, les travaux de Michel Starr, dans l'estuaire et le golfe du Saint-Laurent, ont permis de constater que les eaux les plus profondes sont les plus touchées.

Mais M. Coone souhaite que le Canada soit beaucoup plus actif à ce sujet, et prenne des mesures concrètes pour réduire la pollution par le gaz carbonique. «Dans le dossier des pluies acides, il a fallu une génération pour prendre conscience du problème, mais on a agi rapidement sur tous les tableaux, dit-il. Dans le cas de l'acidification des océans, au contraire, le Canada a abandonné la partie alors qu'il devrait être parmi les nations qui se battent pour faire diminuer les émissions de gaz carbonique. Le problème, c'est peut-être que, quand on regarde l'océan, en surface, il n'a pas changé.»