Chaque fois qu'un appareil électronique neuf est vendu au Québec, son nouveau propriétaire doit acquitter des « écofrais » pour assurer son recyclage à la fin de sa vie utile. Depuis 2012, l'organisation chargée du recyclage des déchets électroniques au Québec a ainsi accumulé un important surplus dans ses coffres : près de 60 millions de dollars, selon son dernier rapport annuel.

Pour le directeur du Front commun pour une gestion écologique des déchets, Karel Ménard, cette réserve, qu'il juge anormalement élevée, devrait servir à intensifier le programme de collecte et de recyclage.

« On continue de voir régulièrement des téléviseurs abandonnés sur les trottoirs. »

Mais la section provinciale de l'Association pour le recyclage des produits électroniques (ARPE) n'entend pas utiliser cette somme pour accroître sensiblement à brève échéance ses efforts de collecte, même si les indicateurs disponibles suggèrent qu'une proportion substantielle des produits ciblés par le programme aboutissent encore dans les lieux d'enfouissement, cinq ans après son lancement.

L'ARPE-Québec, qui regroupe les principaux producteurs de l'industrie, a calculé récemment pour la première fois les taux de récupération obtenus pour les différentes catégories de déchets électroniques, mais refuse pour l'heure de les divulguer.

Recyc-Québec, qui chapeaute l'organisation, affirme que les données seront rendues publiques dans son propre bilan. « C'est rendu au niveau du ministère. Je ne peux pas vous dire quand notre bilan sera disponible. C'est une question de jours ou de semaines », a déclaré la responsable des communications de Recyc-Québec, Véronique Simoneau.

Les écofrais

Le programme de récupération de déchets électroniques québécois a été lancé en 2012 et est financé par l'imposition d'écofrais dont le montant varie en fonction du produit. Les sommes recueillies doivent financer les activités de sensibilisation et de collecte ainsi que les frais requis pour recycler les appareils collectés.

Durant sa première année partielle d'activité, l'ARPE-Québec a recueilli 13 millions de dollars en écofrais et dépensé 8,3 millions, générant un surplus de 4,7 millions.

Pour les années 2013 et 2014, les surplus obtenus ont été de 37,3 millions et de 22 millions. Les écofrais ont ensuite été révisés à la baisse, aboutissant à un léger manque à gagner de 25 600 $ pour 2015 et à un déficit plus substantiel de 7 millions en 2016.

Après avoir absorbé cette perte, la réserve de la section québécoise de l'ARPE s'élevait à 56,6 millions de dollars à la fin de l'année dernière. Les autres provinces membres de l'organisation disposaient alors de réserves variant entre 2,6 et 27,8 millions de dollars.

L'ARPE s'explique

La porte-parole d'ARPE-Québec, Jacinthe Guy, note que l'organisation est tenue par son entente avec Recyc-Québec de maintenir une réserve correspondant au budget requis pour une année d'activités, ce qui représente, selon elle, une somme d'une vingtaine de millions, sensiblement en deçà de la réserve actuelle.

Il est « normal », dit Mme Guy, qu'elle soit élevée en début de programme, puisque les revenus des écofrais « excèdent souvent les dépenses jusqu'à ce que les habitudes de recyclage des produits soient bien ancrées » au sein de la population.

Les écofrais, note par ailleurs Mme Guy, ont été fixés en fonction de la « meilleure information existante à ce moment-là » et ont depuis été modifiés d'une manière qui va entraîner des déficits d'opération au cours des prochaines années et contribuer à résorber la réserve.

« Si l'occasion se présente de réduire les écofrais, ou si des écofrais doivent être augmentés, des mesures seront prises en conséquence. »

Recyc-Québec juge dans la même veine que la réserve enregistrée n'est pas surprenante et se félicite que des mesures aient été prises en vue de la réduire dans les prochaines années.

L'organisation ne pense pas qu'il serait opportun d'intensifier le programme de recyclage grâce à ce surplus. Mme Simoneau note à ce titre que « les efforts déployés par l'ARPE » ont permis d'« assurer une croissance continue des quantités récupérées d'année en année ».

Taux de récupération

Pour 2016, un peu plus de 21 000 tonnes ont été recueillies. Ce résultat ne permet pas d'évaluer le taux de récupération, qui est aussi fonction de la quantité d'appareils jetés durant l'année considérée. L'entente avec Recyc-Québec prévoit que le taux de récupération pour 2015 devait atteindre 40 %. Des pénalités sont prévues dans le cas contraire.

À titre indicatif, l'Ontario a recueilli 60 000 tonnes de déchets électroniques en 2016, pour une population qui est moins de deux fois supérieure.

La province, qui est insatisfaite de ce résultat, entend rendre chaque fabricant de produits électroniques directement responsable de leur recyclage de manière à placer les producteurs « en compétition » et favoriser les innovations susceptibles de réduire la production de déchets.

Karel Ménard estime que le système en vigueur au Québec n'a pas cet effet, puisque les producteurs se sont entendus, à travers l'ARPE, pour imposer des écofrais communs qu'ils font assumer par les consommateurs.

Les entreprises ne sont pas incitées à concevoir des produits plus durables et n'assument pas elles-mêmes les coûts liés au recyclage, alors que ça devrait être leur responsabilité, relève-t-il.

CE QUI ARRIVE AUX PRODUITS RECYCLÉS

Une partie des produits électroniques collectés par l'ARPE sont réutilisés après avoir été remis en état. Les autres sont pris en charge par des firmes spécialisées pour récupérer le verre, le plastique et les autres composants susceptibles d'être réutilisés. Les substances potentiellement néfastes comme le plomb sont récupérées afin d'être éliminées de manière appropriée.

Quelques exemples d'écofrais

• Ordinateur de bureau : 1,10 $

• Appareil cellulaire : 0,07 $

• Dispositif d'affichage de plus de 46 pouces : 24 $

• Ensemble de cinéma maison : 0,80 $