La volonté du gouvernement Couillard d'imposer des tarifs aux biologistes et organismes sans but lucratif qui interviennent en milieu naturel suscite une frustration et une incompréhension grandissantes aux quatre coins de la province.

L'Action boréale de l'Abitibi-Témiscamingue (ABAT), que préside l'auteur-compositeur-interprète Richard Desjardins, vient d'ajouter sa voix au concert de protestations qui a accueilli la publication récente d'un projet de règlement établissant des tarifs pour l'analyse des demandes de permis «à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune».

«Comment, soumis à ces nouveaux règlements, le Frère Marie-Victorin aurait-il pu écrire La Flore laurentienne ? Comment Charles Darwin aurait-il pu écrire De l'origine des espèces ?», demandent M. Desjardins et le vice-président de l'ABAT, Henri Jacob, dans une lettre ouverte. 

Le projet de règlement prévoit des tarifs allant de 67 à 131$ pour les permis pour activités éducatives et de 320$ à 626$ pour ceux visant des activités scientifiques ou de gestion de la faune. Les permis relatifs à des travaux de modification d'un habitat faunique sont soumis à des droits encore plus élevés, de 500$ à 2500$.

Passé inaperçu lors de sa publication dans la Gazette officielle du Québec, le 30 mars, le projet de règlement, d'abord révélé dans Le Devoir, a fini par susciter une forte réaction de la part d'organisations telles l'Association des biologistes du Québec, le Centre québécois en droit de l'environnement et divers conseils régionaux de l'environnement.

Les permis, disponibles gratuitement jusque-là, sont nécessaires pour une foule d'activités, qui vont de l'inventaire de populations animales aux projets de rétablissement d'espèces menacées. «Je connais des collègues qui auront besoin d'une dizaine de permis», dit le président de l'Association des biologistes, Patrick Paré, qui déplore la politique du «deux poids, deux mesures» du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). «Les biologistes du ministère n'ont pas besoin de permis, mais nous, oui, alors que nous avons pourtant l'obligation de partager toutes nos données avec le ministère.»

Québec ne fait qu'appliquer sa Politique de financement des services publics, «appuyée sur le principe de l'utilisateur-payeur», fait valoir le porte-parole du MFFP, Jacques Nadeau. «Les sommes perçues sont réinvesties pour que le ministère puisse remplir sa mission, ajoute-t-il, précisant que les sommes exigées «ne sont pas monstrueuses». 

Dans une lettre adressée à la sous-ministre du MFFP, le Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ) dit au contraire craindre que la tarification ait un effet «dissuasif» et «contre-productif» pour sa quarantaine de membres, qui réalisent «de nombreux projets d'acquisition de connaissances sur la faune aquatique, d'aménagement ou d'éducation» et risquent maintenant d'être confrontés «à un manque à gagner important de plusieurs milliers de dollars».

«Préoccupé», le ROBVQ estime que l'obtention de permis «permettant d'améliorer la situation des habitats fauniques et des espèces» devrait demeurer gratuite, au risque sinon de «freiner les activités de (ses) partenaires : municipalités, universités, organismes à but non lucratif, citoyens, écoles, etc.»

Le Conseil régional de l'environnement de la Montérégie a fait part de doléances similaires dans ses commentaires à la sous-ministre. «Les frais proposés (...) me semblent démesurés et prohibitifs pour les organismes et individus qui ne retirent aucun avantage économique de leurs activités bénévoles, éducatives et scientifiques», écrit son président, Philippe Blais, également à la tête de l'organisme La Vigile Verte, à La Prairie. Les trois permis nécessaires à la Vigile verte pour effectuer le recensement et la protection annuels de nids de tortue et le recensement et le suivi à long terme des moules d'eau douce dans diverses rivières de la région coûteraient 1266$. Or, le budget annuel de l'organisme, alimenté par des dons citoyens, n'est que de 800$. «La nouvelle grille tarifaire (...) pourrait être perçue comme une forme de bâillon financier à la recherche indépendante», écrit M. Blais, qui plaide pour que les frais proposés soient revus «significativement à la baisse».

Critique de l'Opposition officielle en matière faunique, le député péquiste de Bonaventure, Sylvain Roy, craint pour sa part que la tarification produise «des effets extrêmement pervers», incluant «un recul au niveau de la connaissance scientifique des écosystèmes protégés par les bénévoles».

La période de consultation sur le projet de règlement s'est terminée le 15 mai. Le ministère analyse présentement les commentaires soumis. On ignore pour l'instant quand la nouvelle réglementation entrera en vigueur.