Alors que Denis Coderre doit annoncer aujourd'hui la tenue d'une consultation publique sur l'avenir des sacs plastiques à Montréal, son ami et codirecteur de campagne vient de déclarer recevoir des dizaines de milliers de dollars en contrat de lobbyisme pour convaincre le maire du bien-fondé de la position de l'industrie du plastique sur la question.

Dans le cadre de la consultation publique prévue à la fin de mai, Pierre Bélanger tentera de convaincre le «maire» ainsi que les «conseillers municipaux» de ne pas bannir la distribution des sacs d'épicerie.

En novembre dernier, le maire Denis Coderre en avait pris plus d'un par surprise en se prononçant publiquement pour une interdiction des sacs plastiques. «Personnellement, je pense qu'on devrait les bannir, mais on va faire les choses correctement», avait-il lancé lors d'une rencontre où le sujet n'était pas à l'ordre du jour.

Quelques semaines plus tard, son «ami de 20 ans» et camarade politique Pierre Bélanger a entamé un mandat rémunéré «de 50 000 à 100 000$» pour le compte de l'Association canadienne de l'industrie des plastiques (ACIP).

«L'industrie du plastique veut participer au débat et prôner une politique [...] de réutilisation des sacs de plastique», a-t-il dit en entrevue.

M. Bélanger a assuré qu'il respectait toutes les lois en vigueur «à 110%» et que ses liens avec le maire ne devraient pas l'empêcher d'accepter des contrats de lobbyisme. Le présent contrat, «je n'en ai même jamais parlé à M. Coderre. Je ne sais même pas si je vais lui en parler», a-t-il ajouté.

Ex-ministre péquiste de la Sécurité publique devenu consultant chez National, Pierre Bélanger est un membre fondateur d'Équipe Denis Coderre pour Montréal et fait toujours partie de la formation politique.

Lors de la dernière campagne électorale, il a présidé la campagne de M. Coderre, en plus de lui servir de caution à hauteur de 10 000$. «Quand un homme politique est élu, il est élu avec sa famille qu'il avait avant, avec les amis qu'il avait avant, a-t-il fait valoir. M. Coderre peut parler avec son beau-frère de quelque chose qui va avoir de l'influence sur lui, en fin de semaine.»

Évaluer l'impact de l'interdiction

Quatre mois après la sortie remarquée du maire contre les sacs de plastique, l'administration Coderre annoncera ce matin qu'elle lance une consultation publique sur l'interdiction des «sacs d'emplettes à usage unique». Même si on évite de les nommer en toutes lettres, ce sont bel et bien les sacs de plastique qui sont visés ici.

C'est la Commission municipale sur l'environnement, présidée par l'élue Elsie Lefebvre, qui sera chargée de cette consultation prévue à la fin du mois de mai.

Montréal dit vouloir profiter de cet exercice pour répondre à plusieurs interrogations entourant l'idée de bannir l'utilisation des sacs de plastique. On souhaite notamment étudier le cas des autres villes et États les ayant interdits, comme la Californie ou, plus près de nous, Huntingdon. La métropole veut aussi évaluer l'impact sur ses employés de l'entrée en vigueur d'une telle réglementation, notamment quant aux inspections qui seront nécessaires pour en assurer le respect.

On veut aussi mieux cerner les coûts des solutions de rechange qui devront être mis en place, comme les sacs de papier, les sacs compostables ou les sacs réutilisables. La Commission devra évaluer l'impact pour les commerçants montréalais, mais aussi les fabricants de sacs de plastique.

La consultation devrait permettre d'évaluer l'impact d'une interdiction des sacs de plastique à Montréal, mais pas dans les villes liées. Sur les onze élus membres de la Commission, deux proviennent d'ailleurs de municipalités défusionnées.

Dans un document justifiant la tenue de la consultation, Montréal note que les sacs de plastique posent d'importants problèmes environnementaux.

«Leur dégradation dans un lieu d'enfouissement peut prendre plusieurs centaines d'années, écrit la Ville. En plus d'être une nuisance visuelle, les sacs de plastique perdus ont des impacts importants sur les écosystèmes terrestres et marins. La faune ailée et marine est particulièrement affectée par les sacs de plastique égarés qu'elle confond avec de la nourriture.»

Des sacs qui ont la vie dure

PAUSE EN CALIFORNIE

Les pressions de l'industrie des sacs de plastique portent leurs fruits. En septembre, la Californie était devenue le premier État américain à bannir complètement ces sacs de ses supermarchés. Mais la partie est loin d'être gagnée : l'industrie a réussi à faire suspendre cette loi jusqu'en novembre 2016, soit en attendant la tenue d'un référendum. L'American Progressive Bag Alliance, qui représente des fabricants de sacs, a recueilli 800 000 signatures dans une pétition, ce qui a forcé la tenue d'un vote sur la question. En attendant, l'interdiction a été suspendue.

RECUL À TORONTO

En 2012, la Ville de Toronto a présenté un règlement pour interdire les sacs de plastique dans les commerces de la métropole canadienne. Les élus ont finalement décidé, en juin 2013, d'abandonner l'idée devant les pressions de l'industrie des sacs de plastique et le manque de soutien populaire. Un sondage mené pour le compte de la Ville de Toronto démontrait en effet que seulement 19 % des Torontois étaient en faveur d'une interdiction complète des sacs de plastique. Le tiers (36 %) des répondants préféraient une tarification de 5 cents par sac, tandis que 44 % appuyaient le maintien des sacs de plastique, et ce, sans tarification.

TOUJOURS PRÉSENTS AU BANGLADESH

Ce petit État d'Asie avait été le premier à bannir complètement les sacs de plastique en 2002. Ceux-ci avaient été interdits après avoir été jugés responsables d'inondations importantes survenues en 1988 et en 1998 dans ce pays situé près du niveau de la mer. Jetés à tout vent, les sacs de plastique auraient en effet bouché le réseau d'égout lors de fortes pluies. Malgré leur interdiction depuis plus d'une décennie, les sacs de plastique continuent toutefois à proliférer en raison de l'absence d'inspection.

ET AU QUÉBEC ?

La Ville de Montréal note que des mesures sont déjà en place pour réduire l'utilisation des sacs de plastique, ce qui aurait permis de les réduire de 52 % entre 2007 et 2010, selon Recyc-Québec. Bon nombre d'épiceries et de pharmacies facturent ainsi 5 cents à leurs clients pour chaque sac, en plus de vendre des sacs réutilisables. La Société des alcools du Québec a déjà banni les sacs de plastique de ses points de vente. Reste que quelques villes ont tout de même jugé bon d'interdire les sacs de plastique. Huntingdon a été la première ville québécoise à le faire, en 2008. D'autres villes ont suivi le mouvement, comme Deux-Montagnes, Sainte-Martine et Saint-Anselme.