L'année s'annonce dure pour le crabe des neiges canadien : sa certification de « pêche durable » vient d'être suspendue. L'organisme qui gère la précieuse étiquette estime qu'il ne peut plus approuver une pêche en partie responsable de la mort de baleines noires. Les pêcheurs canadiens attendent avec appréhension les directives d'Ottawa pour la saison 2018. Elles pourraient considérablement réduire leur capacité de pêche, au nom de la conservation du mammifère marin. Explications.

QUELLE EST LA CAUSE DE LA MORT DES BALEINES ? 

L'année dernière, 12 baleines noires de l'Atlantique sont mortes dans le golfe du Saint-Laurent. Du jamais-vu. Les autopsies ont montré que certaines se sont prises dans de l'équipement de pêche au crabe, d'autres se sont heurtées à des bateaux. Ottawa a imposé une limite de vitesse pour les gros bateaux qui naviguent dans le golfe du Saint-Laurent, autour de 20 km/h, et annoncera sous peu d'autres mesures de précaution pour protéger cet immense mammifère. 

La baleine noire de l'Atlantique Nord est une espèce en voie de disparition. « Il en reste 451. On les connaît pratiquement toutes par leur nom, précise Lyne Morissette, spécialiste du fonctionnement des écosystèmes et des interactions entre les mammifères marins et les pêcheries. « L'année dernière, précise Mme Morissette, il y a eu 17 mortalités pour 5 naissances. À ce rythme-là, elles seront toutes disparues dans 20 ans. »

« On a toujours vu des baleines noires, mais oui, on a été surpris d'en voir autant l'année dernière », dit Daniel Desbois, président de l'Association des crabiers gaspésiens.

QUI JUGE LA PÊCHE ? 

C'est l'organisme Marine Stewardship Council qui certifie les pêches durables. Son étiquette bleue est convoitée et reconnue partout dans le monde. Après la saison 2017, l'organisme britannique avait annoncé qu'il se pencherait sur la pêche canadienne. La situation du golfe du Saint-Laurent avait aussi attiré l'attention aux États-Unis, principale destination du crabe des neiges canadien. Le jugement du Marine Stewardship Council est tombé mardi matin : la pêche au crabe des neiges du Canada ne répond plus aux critères permettant de la qualifier de durable. La certification est révoquée durant 90 jours, le temps que l'industrie canadienne présente des solutions. 

La situation est préoccupante, car la perte définitive de la certification fermerait des portes au crabe d'ici. Certaines épiceries ou certains transformateurs ne travaillent plus qu'avec des produits de la mer certifiés. « Si on la perdait définitivement, ça coûterait très cher, calcule Jean-Paul Gagné, directeur général de l'Association québécoise de l'industrie de la pêche. Heureusement, notre crabe est surtout exporté aux États-Unis et au Japon. Parce qu'en Europe, sans certification, il ne rentrerait même pas. »

QUE VEULENT LES PÊCHEURS ? 

Selon le pêcheur gaspésien Daniel Desbois, la solution est simple : Ottawa devrait devancer la saison de pêche au crabe des neiges. « Si l'ouverture était plus tôt, dit le pêcheur, on aurait fini au moment où les baleines arrivent dans le golfe. » 

Les baleines noires de l'Atlantique passent l'hiver en Floride. Elles reviennent ensuite tranquillement vers le Canada, explique Lyne Morissette, présidente de la firme M Expertise Marine, qui travaille avec les pêcheurs pour trouver des solutions à ce problème. « Les pêcheurs sont aussi déçus que nous de voir des baleines mourir dans le golfe, dit-elle. Ils ont la volonté de trouver des solutions et une connaissance du terrain unique. » Il faut maintenant déterminer si 2017 était une année exceptionnelle ou si c'est le début d'une tendance, dit Lyne Morissette, qui croit aussi que devancer le début de la saison de pêche au crabe des neiges est une mesure qui pourrait être très efficace. 

Les dates d'ouverture de la pêche sont déterminées par Ottawa, selon les zones. Pour les devancer, Pêches et Océans Canada devrait peut-être utiliser des brise-glaces dans certaines zones.

QUE FAIT PÊCHES ET OCÉANS CANADA ? 

Le Ministère doit dévoiler dans les prochains jours ses directives pour la saison 2018. Elles sont très attendues par les pêcheurs, car le mois dernier, Pêches et Océans Canada a donné un aperçu de ce qui se prépare. Ottawa pourrait fermer des zones de pêche pour 15 jours, dès qu'on y observe trois baleines, ou réduire le nombre de casiers dans la zone 12 du golfe, cette énorme superficie qui comprend le bout de la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine, le Nouveau-Brunswick et une partie de la Nouvelle-Écosse. La saison de pêche pourrait aussi être écourtée cette année, dans cette même zone, si une baleine se prend dans des cordes de pêcheurs. 

« Ces changements interviendront après consultation des pêcheurs par l'entremise du Comité consultatif du crabe des neiges du sud du golfe du Saint-Laurent », précise le Ministère, par courriel. 

Cela s'ajoute aux mesures déjà mises en place : les pêcheurs doivent désormais réduire leurs cordages, afin d'éviter que des mètres de cordes flottent dans l'eau et créent des pièges pour les mammifères. De plus, les pêcheurs devront identifier leur équipement et déclarer des pièces perdues en mer. Après la dernière saison, 220 casiers de pêche au crabe ont été récupérés par Pêches et Océans Canada. 

« On donne une importance énorme à cette baleine-là. C'est un peu excessif de la part d'Ottawa, estime Jean-Paul Gagné, de l'Association québécoise de l'industrie de la pêche. L'économie des régions maritimes, c'est aussi important, dit-il. Et il n'y a pas que la pêche qui est touchée, l'industrie des croisières aussi. » L'année dernière, 13 bateaux de croisière ont dû annuler leur escale à Gaspé, faute de temps. 

Le Canada est le principal fournisseur de crabe des neiges du monde. Au Québec, en quantité, il se pêche plus de crevettes, mais en valeur, le crabe des neiges arrive bon premier.