Le monde vit une « crise du braconnage », et les espèces canadiennes ne sont pas épargnées. C'est pourquoi le Canada a convoqué une rencontre des pays nordiques dans le cadre de la rencontre annuelle des pays adhérant à la Convention internationale contre le commerce des espèces menacées d'extinction, qui s'est ouverte en Afrique du Sud. Explications en quatre points.

En quoi l'Arctique est-il visé par le braconnage ?

« Le prix des peaux d'ours polaires a quadruplé en quatre ans » sur le marché noir, passant de 5000 à 20 000 $, lance Sheldon Jordan, directeur général de la division de l'application de la Loi sur la faune à Environnement Canada. « Les défenses de narval valent maintenant la même chose que l'ivoire d'éléphant », soit 3000 $ le kilogramme, ajoute celui qui préside aussi le groupe de travail d'Interpol sur les espèces sauvages. Le Canada est moins touché que d'autres pays par la « crise du braconnage » qui sévit dans le monde, car les espèces nordiques ne sont « pas très accessibles », explique M. Jordan, mais la disparition des espèces traditionnellement prisées, comme l'éléphant et le rhinocéros, et l'augmentation des prix qui en résulte créent une pression sur les espèces nordiques. Le problème n'est pas tant le braconnage, pour l'instant, que le commerce illégal.

Comment l'Afrique peut-elle inspirer l'Arctique ?

« Il y a eu beaucoup d'attention portée au trafic des espèces sauvages au cours des 10 dernières années », constate Sheldon Jordan, mais l'action de la communauté internationale s'est concentrée sur les animaux emblématiques de la savane africaine, comme l'éléphant et le rhinocéros, particulièrement vulnérables. Or, l'Arctique « n'a pas été scruté à la loupe », alors que les espèces qu'il abrite sont elles aussi menacées ; le Canada veut donc « mieux comprendre » les problèmes propres aux espèces nordiques afin de « prévenir des crises qu'on voit avec d'autres espèces », explique M. Jordan. Autrement dit, éviter que l'Arctique devienne un jour la boucherie qu'est l'Afrique. La démarche vise aussi une gestion durable des ressources de la faune, dont vivent de nombreuses communautés du Nord. « Quand il y a du braconnage, quand il y a du trafic, ce sont les petites communautés qui [écopent]. On veut protéger le commerce légal et protéger l'environnement », affirme Sheldon Jordan.

Comment les micropuces pourraient-elles aider les ours ?

Environnement Canada mène un projet-pilote avec des communautés autochtones du Grand Nord pour tester des mesures de contrôle visant à contrer le commerce illégal d'espèces sauvages. « On va [dissimuler] une micropuce électronique dans chaque peau d'ours polaire qui est tué », explique Sheldon Jordan. Fait intéressant : cette micropuce résiste au tannage de la peau. Ainsi, la traçabilité des peaux d'ours polaires sera grandement accrue, ce qui facilitera le contrôle du commerce. Mais au cas où la micropuce disparaîtrait ou serait endommagée, Environnement Canada a prévu deux autres mesures de contrôle : une « analyse des isotopes » des dents et des os, qui permettent d'établir la provenance de l'animal, ainsi qu'un prélèvement systématique de l'ADN de chaque ours abattu, qui ira dans une banque de données. Et « les scientifiques ont trouvé une façon de pouvoir extraire de l'ADN même après que la peau a été tannée », souligne Sheldon Jordan.

Quels sont les autres pays concernés ?

Le Canada a convoqué d'autres pays de la zone arctique à une rencontre portant spécialement sur les espèces nordiques, samedi matin, en marge de la 17e séance de la Conférence des parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES, selon son acronyme anglais), qui s'est ouverte hier à Johannesburg, en Afrique du Sud. Les États-Unis, le Danemark, la Norvège et la Russie, des pays avec lesquels Ottawa travaille déjà sur la question des ours polaires, y assisteront, de même qu'Interpol et le secrétariat de la CITES. L'objectif est de mieux comprendre les enjeux propres aux espèces que chacun de ces pays ont en commun : caribous ou rennes, poissons, narvals, morses, ours, faucons. Sheldon Jordan souhaite que cette rencontre soit le début d'une « collaboration accrue dans une zone où [il y en a eu peu jusqu'à maintenant] », qu'elle débouche sur un plus grand partage de renseignements, voire sur un groupe de travail commun.

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DE KUUJJUAQ AUX ÉMIRATS ARABES UNIS

Les braconniers n'en ont pas que pour l'ivoire ou les peaux d'ours : les faucons du Grand Nord sont très prisés, notamment par les « pays du Golfe où on pratique la fauconnerie », souligne Sheldon Jordan. Deux « braconniers professionnels » britannique et irlandais vivant en Afrique ont d'ailleurs été arrêtés à Kuujjuaq, dans le nord du Québec, « il y a une dizaine d'années », se souvient-il. Prétendant être des photographes de National Geographic, « ils avaient loué un hélicoptère pour trouver des oeufs dans les nids » et avaient même un incubateur à piles pour les garder au chaud afin de les apporter aux Émirats arabes unis, raconte Sheldon Jordan. Arrêtés par des agents de la faune, ils ont écopé d'une amende.

« C'EST VRAIMENT COMME UNE GUERRE »

Le Canada s'implique également dans la lutte contre le braconnage en Afrique, notamment par l'entremise de formations destinées aux rangers qui doivent protéger les animaux menacés, formations qui ont été offertes au Botswana, au Kenya et en Côte d'Ivoire. Arrivé au début de la semaine en Afrique du Sud, Sheldon Jordan, qui préside le groupe de travail d'Interpol sur les espèces sauvages, a assisté à des entraînements de rangers et constaté que leur travail se compare davantage à celui de soldats que d'agents de la faune tels qu'on les connaît au Canada. « J'ai vu des exercices où ils utilisent des tactiques militaires », raconte-t-il, précisant que beaucoup de rangers meurent chaque année en se battant contre des braconniers et que d'autres voient leur famille menacée. « C'est vraiment comme une guerre ! », s'exclame-t-il. Sheldon Jordan a également visité un établissement géré par des vétérinaires bénévoles, dans le parc national de Pilanesberg, où sont soignés des rhinocéros blessés par des braconniers. Lors de son passage, un animal « tiré il y a cinq ou six jours » avec une arme de fort calibre était soigné, après qu'une balle s'était logée à « 20 cm » de profondeur dans son épaule. « C'était épouvantable. »