La survie à long terme des populations de caribous forestiers est menacée si le Québec ne modifie pas sa méthode d'exploitation de la forêt, estime le forestier en chef de la province.

Dans un avis rendu public lundi, le forestier en chef, Gérard Szaraz, estime que la proportion déjà élevée du territoire québécois où le caribou forestier est en danger augmentera de manière significative au cours des prochaines décennies.

Les perturbations causées par les coupes de bois, les chemins forestiers, les lieux de villégiature, le transport de l'énergie et les incendies de forêt feront en sorte que la superficie où «l'autosuffisance des populations» de caribous est probable diminuera de 70% d'ici 100 ans.

«Si la tendance se maintient et qu'on ne change pas de cap, on ne pourra pas répondre à l'objectif de maintenir la population de caribous forestiers», a dit M. Szaraz en entrevue à La Presse.

Le consensus scientifique veut qu'un taux de perturbation supérieur à 35% sur un territoire donné y rend peu probable la survie de l'espèce.

Ce taux est déjà largement dépassé dans la très grande majorité du nord du Lac-Saint-Jean, là où Produits forestiers Résolu a perdu récemment sa certification environnementale FSC.

Les risques pour le caribou figuraient parmi les motifs du retrait de cette certification, qui fait planer une menace sur l'industrie régionale. «Il faut trouver ce point qui permet de répondre aux impératifs économiques et assurer la protection du caribou, qui bénéficie de nos engagements internationaux. C'est un beau défi d'aménagement durable des forêts de concilier tout ça», dit M. Szaraz.

Une aire protégée?

À long terme, si les pratiques forestières actuelles persistent, plus aucun territoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean ne pourra être considéré comme faiblement perturbé, révèle l'avis du forestier en chef. Et la Côte-Nord, relativement épargnée jusqu'ici, ne compterait plus que 10% de territoire faiblement perturbé.

«Nous sommes en train d'exterminer l'espèce emblématique de notre forêt boréale en raison des coupes forestières abusives et d'un manque flagrant d'aires protégées», déplore Nicolas Mainville, porte-parole de Greenpeace. Son organisation souhaite la création d'une vaste aire protégée dans les Montagnes blanches, près de la limite nordique de la forêt exploitée commercialement. «La solution est là. Le niveau de fragmentation du territoire est assez bas pour maintenir le caribou», dit-il, pressant le gouvernement Couillard d'agir sans délai.

Vers un équilibre

Le ministre des Forêts, Laurent Lessard, demandera au forestier en chef de préciser son analyse sur la perturbation de l'habitat en tenant compte d'indicateurs relatifs au caribou forestier proposés par FSC en octobre 2014, a indiqué son porte-parole, Mathieu Gaudreault. «Il faut un équilibre entre la conservation de l'espèce et le maintien de l'industrie forestière, dit-il. Or, la certification FSC aide l'industrie à avoir accès au carnet de commandes sur le marché international. Tout est imbriqué.»

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Le caribou forestier

Désigné espèce menacée par Ottawa (2003) et espèce vulnérable par Québec (2005), le caribou forestier était autrefois présent dans tout le sud du Québec. Il est maintenant confiné à la partie nord de la forêt boréale.

Réactions

«On ne pourra pas accuser le forestier en chef d'être un intellectuel-artiste-plateaupithèque-militant de Greenpeace. Sa voix est l'une des plus crédibles en la matière.»

- Suzann Méthot, Initiative boréale canadienne 

«C'est la reconnaissance par un organisme provincial de l'urgence d'agir face à la situation très défavorable que l'aménagement forestier a imposée au caribou.»

- Martin-Hugues St-Laurent, professeur d'écologie animale à l'UQAR

Le forestier en chef

Créée en 2005 à la suite d'une recommandation de la commission Coulombe, la fonction de forestier en chef détermine les possibilités forestières et rend des avis au gouvernement sur l'état et la gestion de la forêt.