Réservoir de biodiversité et refuge de primates en voie d'extinction, la forêt des marais de Tanoé, dans l'extrême sud-est de la Côte d'Ivoire, suscite une mobilisation inédite dans le pays pour la défendre contre un projet de plantation industrielle.

Chaque année, plus de 300.000 hectares de forêts disparaissent en Côte d'Ivoire à cause de «l'exploitation abusive», ramenant le couvert végétal du pays à 6 millions d'hectares de forêts contre 16 millions dans les années 60.

«Notre combat vise à conserver cette forêt et les espèces uniques qu'elle abrite», explique à l'AFP le Docteur Inza Koné, coordonnateur d'un programme de recherche et actions pour la sauvegarde des primates de Côte d'Ivoire (RASAP-CI).

Ce bloc forestier non protégé s'étend sur 12.000 hectares, entre la lagune Ehy et le fleuve Tanoé, frontière naturelle avec le Ghana.

Cette forêt «joue un rôle écologique irremplaçable en terme d'absorption du carbone atmosphérique et de régulation du climat», affirme le Dr Koné, dont le programme est soutenu par le Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d'Ivoire.

Le site abrite en outre trois espèces de primates figurant sur la liste rouge des singes les plus menacés dans le monde établie par l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN).

L'un d'eux, le Colobe bai de Miss Waldron, a la particularité de n'avoir jamais été photographié vivant, selon ce spécialiste.

Cependant, ce riche patrimoine, qui ne bénéficie d'aucun statut officiel en matière de conservation, est menacé par le braconnage, ainsi que par l'exploitation forestière.

Palmci, la première société ivoirienne de transformation d'huile de palme, envisage la création de près de 8.000 hectares de plantations agro-industrielles qui engloutiraient 75% de la superficie de la forêt.

«L'exploitation agricole de cette forêt équivaudrait à l'explosion d'une "bombe carbone"», assure l'écologue André Djaha Koffi.

Selon lui, «la création de plantations de palmiers à huile, en plus de causer la déforestation et la perte de la biodiversité, provoque d'énormes émissions de gaz à effet de serre».

«Faux! Ce projet est viable. Nous avons demandé une étude à impact environnemental», répond Angora Tano, directeur de la Palmci.

M. Tano a indiqué que ce projet permettra de «construire des infrastructures et va générer des revenus aux planteurs» de palmiers, dont le pays est le premier producteur d'huile de palme au sein de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, 8 pays).

«Nous sommes pour le développement durable qui prend en compte la préservation de l'environnement pour les générations futures», a souligné de son côté Franck Eba, responsable du développement durable à Palmci qui prévoit de réserver 1.000 hectares à la protection des primates.

Une proposition qui ne rassure guère les responsables du RASAP-CI. Ils ont décidé de poursuivre leur campagne de sensibilisation visant à transformer la forêt en réserve naturelle «volontaire» gérée par les populations.

Ils se flattent déjà d'avoir converti un grand braconnier de la région, Kouamé N'Daboua, en défenseur de l'environnement, désormais à la tête d'une équipe chargée d'organiser la surveillance de la forêt.

Même le curé de la paroisse de Nouamou, village jouxtant la forêt, se sent concerné. «Dieu nous a confié la gestion de la nature», explique l'abbé François Niamkeytchi.

Il a promis d'en parler chaque dimanche dans son homélie.