Y aura-t-il encore des ours polaires à la fin du XXIe siècle? Les Inuits doivent-ils réduire leurs quotas de chasse? Comment faire face au problème grandissant des ours polaires qui déambulent dans les villages du Grand Nord?

Voilà quelques-unes des questions qui seront abordées aujourd'hui à Winnipeg, durant une table ronde «historique» réunissant scientifiques, politiciens et autochtones. Cette rencontre suit plusieurs controverses, l'automne dernier, sur des ours polaires abattus dans des villages du Nunavut, et sur le refus des autorités de ce territoire de suivre les avis des scientifiques fédéraux et d'abaisser le quota de chasse.

 

«La table ronde survient maintenant parce que c'est un moment très important pour l'ours polaire, pour sa conservation, face aux changements climatiques», explique le ministre de l'Environnement, Jim Prentice, en entrevue téléphonique avec La Presse. «Je dois en particulier décider si je donne suite à une recommandation d'un comité scientifique de considérer préoccupante la situation de l'espèce. Nous faisons face à des questions complexes de juridiction. Le gouvernement fédéral n'a pas d'autorité constitutionnelle en cette matière.»

Un expert des ours polaires, Andrew Derocher de l'Université de l'Alberta, confirme que la table ronde d'aujourd'hui est unique dans les annales de la conservation des espèces menacées. «Le problème, c'est que le Canada est en quelque sorte responsable de l'avenir de l'espèce, parce qu'on a plus de la moitié de la population mondiale, dit M. Derocher. Comme les espèces animales sont de compétence provinciale, et qu'en plus il y a la question du respect des connaissances traditionnelles des autochtones, la situation est compliquée.»

Il y a de 20 000 à 25 000 ours polaires dans le monde, dont 15 000 au Canada, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature. Des 13 sous-populations au Canada, seules deux - le sud de la mer de Beaufort et l'ouest de la baie d'Hudson - sont bien étudiées. Comme dans les deux cas, la population a chuté de 20% en 20 ans, les scientifiques sont inquiets. Selon le ministre Prentice, les sous-populations les plus vulnérables sont partagées entre le Groenland et le Canada.

«Je ne nie pas qu'il y ait davantage d'ours dans les villages maintenant, et qu'on ne sait pas exactement pourquoi, dit M. Derocher. Mais il est probable que ce soit à cause du rétrécissement de la banquise. L'ours polaire se nourrit exclusivement de phoque, qu'il attrape sur la banquise. Moins de banquise, moins de nourriture, ça semble logique.» M. Derocher avance que l'espèce pourrait disparaître d'ici le XXIIe siècle.

Le rapport auquel fait référence M. Prentice, publié par le Comité sur la situation des espèces en péril, est controversé. «Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas recommandé que l'espèce soit déclarée en danger, comme aux États-Unis, dit M. Derocher. La seule explication que je peux voir, c'est que certains des membres du comité doutent de la réalité des changements climatiques, et qu'on a voulu en arriver à un consensus.»

M. Derocher estime que le Canada n'investit pas assez en recherche sur les ours polaires. «Le Nunavut a deux chercheurs à plein temps, le fédéral aussi, puis il y a moi. Ailleurs, il n'y a que des personnes à temps partiel. Les États-Unis investissent davantage, même s'ils ont beaucoup moins d'ours polaires que nous. La majeure partie de mon financement de recherche est américain.»

Le ministre Prentice est disposé à écouter les scientifiques, estimant n'avoir pas assez d'argent pour étudier convenablement les ours polaires, mais il avance que le Canada est le pays qui a le plus investi dans l'année polaire internationale, soit 150 millions en cinq ans. M. Derocher a eu 15 000$ pour ses recherches dans le cadre du programme de l'année polaire internationale.