D'ici 2023, l'Afrique du Sud pourrait dire adieu à ses derniers rhinocéros. Ces membres colossaux du club sélect du «Big 5» sont plus que jamais menacés par le braconnage, comme le confirme une récente étude gouvernementale qui évalue à 704 le nombre de rhinocéros tués pour leurs cornes depuis le début de 2013. Un triste record, qui excède largement celui de 668 établi en 2012.

La corne de rhinocéros, qui vaut de 300 000$ à 400 000$ sur le marché noir, est un trophée archi-prisé par l'élite vietnamienne, friande de ses soi-disant vertus curatives, pour soigner une gueule de bois, chasser les mauvais esprits et même traiter des cancéreux.

Mais dans un pays réputé pour ses safaris, cette folie meurtrière de pachydermes crée de sérieux défis de sécurité.

La mort d'Absa

Searl Dermon, propriétaire de la réserve faunique Aquila (à deux heures de route du Cap), a perdu deux rhinocéros aux mains de braconniers en 2011. L'un d'eux s'en est tiré avec la moitié d'une corne en moins et la tête massacrée. La seconde, qui a été baptisée Absa, a péri au bout de six jours. Depuis, l'homme d'affaires a fait de la lutte contre le braconnage une affaire personnelle, avec sa fondation Saving Private Rhino.

«Les yeux du monde étaient rivés sur Absa pendant les six jours qui ont précédé sa mort. Sur Twitter, nous avons reçu des commentaires de Paris Hilton, MC Hammer, Oprah...», raconte Searl Dermon, qui a mis sur pied un programme de «reconnaissance de suspects» et investi des centaines de milliers de dollars en mesures de sécurité pour protéger ses rhinocéros d'éventuels braconniers.

Du lounge dominant la réserve de 7500 acres, on contemple la montagne où ont campé les bourreaux des deux rhinocéros attaqués en 2011. «Pour 300 000$ la corne, serais-tu prête à grimper là avec de quoi survivre pendant quelques jours?», lâche le loquace homme d'affaires, qui fait désormais preuve d'une extrême prudence à l'endroit des 60 000 visiteurs annuels qui séjournent dans sa réserve. Les habituels suspects? Des visiteurs du Mozambique ou des Sud-Africains du Nord formés à la chasse, ou encore des fermiers afrikaans, habitués de se promener parmi les lions.

Le marché vietnamien

«Ironiquement, le sort des rhinocéros sud-africains est désormais intrinsèquement lié aux forces du marché au Viêtnam, un pays qui a récemment vécu l'extinction de sa propre population de rhinocéros», écrivent Tom Miliken et Jo Shaw dans un rapport de recherche de l'institut Traffic sur le lien entre la corruption de professionnels de l'industrie faunique et le crime organisé asiatique.

Les ravages du braconnage

L'Afrique du Sud abrite désormais 18 000 rhinocéros blancs et 1915 rhinocéros noirs, ce qui représente environ 95% de la population totale de rhinocéros d'Afrique. Le dernier des rhinocéros vietnamiens a été tué en 2010.

De 1995 à 2005, environ 14 rhinocéros par année étaient victimes du braconnage. Mais à partir de 2010, une rumeur voulant qu'un traitement à base de corne de rhinocéros ait guéri le cancer d'un politicien vietnamien a fait exploser la demande. Des musées, des antiquaires et des maisons d'encan ont aussi été victime de cambriolages de cornes.

Désormais vendue de 65 000$ à 100 000$ le kilo, la corne de rhinocéros a comme consommateur type «le promoteur immobilier vietnamien de 46 ans, marié avec des enfants adultes, qui souhaite être perçu comme un leader et croit que la consommation de corne de rhinocéros est un gage de richesse et de pouvoir», rapporte une récente étude du World Wide Fund for Nature, réalisée sur un échantillon de 720 répondants à Hanoi et Ho Chi Minh-Ville.

En Afrique du Sud, le marché noir du braconnage, dorénavant considéré comme une activité criminelle très organisée, touche autant les guides de safari, les employés du parc national Kruger - où l'armée a été dépêchée - payés au salaire minimum que des propriétaires de réserve comme Searl Dermon. Trois diplomates de l'ambassade du Viêtnam à Pretoria ont été accusés de trafic de cornes de contrebande.

«Un jour, j'ai fait un sondage anonyme, auprès de mon personnel, leur demandant combien ils accepteraient pour appeler un braconnier et lui dire où se trouvent les rhinos. En moyenne, ils ont répondu 5000 rands [500$ CAN]», rapporte M. Dermon.