Le kiwi est à la Nouvelle-Zélande ce que le panda est à la Chine: un symbole national qui fait la fierté des Néo-Zélandais mais aussi un animal en voie de disparition.

Le drôle d'oiseau rond n'est pourtant pas un prix de beauté: incapable de voler, il promène son plumage aux allures de fourrure sur de grosses et courtes pattes griffues, fouillant le sol de son long bec pour se nourrir de vers et d'insectes. Ce qui ne l'empêche pas de figurer dans le mythe de la création du monde des Maoris, d'avoir donné son nom à la monnaie locale, à un fruit connu dans le monde entier et même d'avoir inspiré le surnom de «Kiwis» des Néo-zélandais.Le seul kiwi qui se fasse rare en Nouvelle-Zélande est le vrai. L'animal fait partie des espèces en danger que les autorités tentent de préserver et de ramener à des niveaux de population normaux dans la réserve de Karori, non loin du tumulte de la capitale, Wellington. «Le kiwi, c'est notre identité. Quand tout d'un coup on dit qu'il va s'éteindre de notre vivant, c'est un peu effrayant», observe Raewyn Empson, conservatrice en chef du Karori Wildlife Sanctuary.

L'oiseau est, comme d'autres espèces, victime de son innocence, de l'évolution et de l'installation des hommes dans ces îles isolées du Pacifique Sud, balayées par le vent. En l'absence de prédateurs, nombre des animaux de l'archipel au relief accidenté ont prospéré sans vraiment développer de mécanismes de défense.

Et puis, vers 800 ans après Jésus-Christ selon la plupart des spécialistes, des Polynésiens sont arrivés par la mer, amenant des rats dans leurs embarcations. Au milieu du XVIIe siècle, les Européens ont apporté chats, chiens, hermines, furets, opossums, lapins et belettes. Toutes bêtes qui ont fait des ravages parmi les animaux indigènes, les dévorant ou leur volant leur nourriture.

Aujourd'hui, la Nouvelle-Zélande affiche l'un des pires taux de destruction de la biodiversité du monde. Plus de 30%, soit au moins 51 espèces, des oiseaux indigènes sont considérés comme éteints, de même que divers lézards, grenouilles, poissons et plantes, selon des études officielles. Parmi ces chers disparus figure le moa géant, sorte d'autruche chassée jusqu'à extinction par les colons polynésiens, et son unique autre prédateur, l'aigle géant de Haast, le plus grand du monde, qui l'a rapidement suivi, vers 1400. Quant au kiwi, il a quasiment disparu des îles principales, se retranchant dans les plus petites et les moins peuplées.

Mais des Néo-Zélandais sont déterminés à sauver leur emblème national. Plus d'une dizaine de réserves naturelles privées ont été créées ces dernières années, et des milliers de volontaires s'emploient à capturer, tuer ou chasser les prédateurs «étrangers» de l'oiseau. Le gouvernement a transféré les animaux considérés comme menacés sur les petites îles où les prédateurs sont plus faciles à écarter.

La réserve de Karori a opté pour la stratégie inverse en ramenant des rescapés sur les îles principales. La fondation financée par des particuliers, des entreprises, des universités et des gouvernements régionaux essaie de rendre à 260 hectares de la vallée d'une rivière leur état pré-humain.

Car avant l'arrivée de l'homme, les forêts luxuriantes de Nouvelle-Zélande abritaient «un certain nombre d'animaux primitifs plutôt bizarres et inhabituels», selon Don Newman, responsable scientifique des espèces menacées au Département gouvernemental de préservation. Ensuite, les paysans ont détruit la forêt tandis que les mammifères se repaissaient d'animaux uniques dans leur genre, saccageant les nids et s'emparant des oeufs, poussant à la presque extinction le kakapo, le seul perroquet incapable de voler, ou le tuatara, sorte de lézard.

Dans la réserve, en revanche, «nous sommes optimistes», assure Raewyn Empson, «nous avons une vision à 500 ans ici». Karori, abritée derrière une enceinte d'un peu plus de deux mètres de haut, impossible à franchir par-dessus ou par-dessous, fait figure de réserve privée modèle, pour son potentiel tant touristique que scientifique. En 2000, quelques petits kiwis de la plus rare des six espèces de kiwi y ont été relâchés, premiers de ces volatiles à retourner à l'état sauvage sur une grande île depuis un siècle. Un bébé kiwi, baptisé Frodon, naissait dans l'année. Le parc attend maintenant une quarantaine de nouveaux-nés pour 2009.

En mars dernier, on découvrait que des grenouilles rares de l'île de Maud introduites dans la réserve de Karori avaient eu des petits, et en octobre, c'était un tuatara. Des perroquets oubliés depuis longtemps sur les principales îles sont revenus et se multiplient dans la région de Wellington tandis qu'une sarcelle brune volette autour des pieds de visiteurs nocturnes à Karori. «C'est précisément ce comportement typique des oiseaux néo-zélandais qui leur a nui, mais c'est formidable pour l'observation», remarque le guide, Claire Pascoe.

L'homme sera-t-il finalement l'avenir du kiwi? En tout cas, aujourd'hui, les gadgets à l'effigie du drôle d'oiseau dans le magasin de souvenirs de la réserve sont fabriqués... avec de la fourrure d'opossum.