Alors que les groupes écologistes, la nation innue et de nombreux citoyens se réjouissent de l'interdiction définitive de toute exploration pétrolière à Anticosti annoncée vendredi, Québec inc. voit les choses d'un autre oeil. Un regroupement de 60 000 entreprises craint que ce nouveau changement de cap du gouvernement, après  celui sur l'uranium, ne décourage les investisseurs de se tourner vers la province.

ARRÊTÉ MINISTÉRIEL

Après des mois de négociations, Québec a annoncé vendredi matin la conclusion d'un règlement avec trois entreprises qui possédaient depuis 2014 des droits de recherche dans l'île d'Anticosti. Junex, Corridor et Maurel & Prom ont accepté de céder leurs droits de recherche contre 41,4 millions de dollars. Les discussions se poursuivent avec Pétrolia et Trans American. Le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles a du même coup promulgué un arrêté ministériel qui interdira définitivement l'exploration et l'exploitation pétrolières et gazières dans tout le territoire d'Anticosti. Selon Québec, cette interdiction devrait favoriser la candidature de la municipalité d'Anticosti au patrimoine mondial de l'UNESCO.

LA FCCQ INQUIÈTE

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) appuyait depuis le départ l'exploration pétrolière à Anticosti, annoncée en 2014 par le gouvernement péquiste de Pauline Marois. Son président Stéphane Forget craint que ce changement de cap ne rebute des investisseurs potentiels, surtout après le moratoire imposé en 2013 par Québec sur l'exploration d'uranium, qui a entraîné une poursuite de 200 millions de la minière Strateco. « Maintenant que la décision est prise, ma préoccupation est surtout qu'il ne faut pas que cette décision lance un mauvais signal aux investisseurs désireux de faire du développement économique au Québec, a-t-il dit à La Presse. Il faut qu'on ait une démarche ordonnée, prévisible, cohérente pour les investissements. Or le message qu'on envoie dans le dossier d'Anticosti va dans le sens contraire. » La FCCQ représente 60 000 entreprises au Québec.

PÉTROLIA VEUT UN TRAITEMENT DIFFÉRENT

Pétrolia rappelle que c'est à la demande du gouvernement québécois qu'elle s'était associée à la coentreprise Hydrocarbures Anticosti S.E.C. (HASEC) en 2014. L'entreprise détient 21,7 % de HASEC et avait été désignée opérateur du projet d'exploration pétrolière et gazière. « C'est notamment sur la foi de cet engagement et des retombées importantes qui en découlaient [...] que Pétrolia a accepté de se joindre au gouvernement du Québec dans ce grand projet d'exploration, déclare l'entreprise de Québec dans un communiqué. Dans ces circonstances, il est clair que le gouvernement du Québec ne peut traiter Pétrolia sur le même pied que les sociétés étrangères auxquelles il s'est adjoint en 2014. »

« Bien que nous soyons profondément déçus de la tournure des événements, nous sommes toujours convaincus, encore plus qu'en 2014, du potentiel et de la pertinence du projet Anticosti pour le Québec et pour la société. »

- Martin Bélanger, PDG par intérim de Pétrolia

UNE « GRAVE ERREUR » ÉVITÉE

Si elle déplaît aux investisseurs et aux regroupements d'entreprises, la décision annoncée vendredi par Québec a été reçue comme une victoire par de nombreux groupes. Les chefs de la nation innue ont félicité le gouvernement, tout comme le groupe écologiste Équiterre. « Anticosti est un joyau, un endroit digne de faire partie du patrimoine mondial de l'UNESCO, a déclaré son porte-parole Steven Guilbeault. Permettre à des pétrolières d'aller y puiser des millions de litres d'eau, d'y creuser des milliers de puits de pétrole, d'y injecter des substances chimiques dans son sol aurait été une très grave erreur. »

BOOM TOURISTIQUE À ANTICOSTI ?

Le maire de la municipalité d'Anticosti a lui aussi salué haut et fort l'arrêt définitif de toute exploration dans le golfe du Saint-Laurent. John Pineault croit fermement à la candidature de l'île au patrimoine mondial de l'UNESCO et affirme que la prise de position de son administration contre le pétrole a fait tripler le tourisme depuis un an. « On est passés d'environ 200 à plus de 700 touristes en juin. On travaille conjointement avec les pourvoyeurs ici, on est en train de mettre en place un sentier de trek de 575 km qui va faire le tour de l'île. » M. Pineault, qui a succédé l'an dernier à un maire favorable à l'exploitation des hydrocarbures, soutient que l'industrie de la chasse et de la pêche représente plus de 25 millions en retombées dans l'île de 215 habitants.

JUNEX DÉÇU

Le groupe Junex, de Québec, recevra 5,5 millions de Québec dans le cadre du règlement annoncé vendredi. L'entreprise continue de croire au potentiel de la province dans le segment des hydrocarbures, mais elle se concentrera désormais sur son projet de Galt, en Gaspésie, a confié à La Presse le président Jean-Yves Lavoie. « C'est sûr que c'est intéressant de voir que le gouvernement paie nos coûts passés, mais ce n'est quand même pas une journée pour ouvrir une bouteille. Je me mets dans la peau des actionnaires : si on s'embarque dans une aventure, c'est toujours triste si on ne peut pas aller au bout de l'affaire. »

LE QUÉBEC, PAS DIFFÉRENT

Corridor, entreprise d'Halifax, recevra pour sa part 19,5 millions en dédommagement. En entrevue téléphonique, son président Steve Moran a dit respecter la décision de Québec. « Je crois qu'ultimement, tout investisseur, toute société dans les hydrocarbures, doit comprendre le climat politique où qu'il travaille et comprendre que les gouvernements sont aujourd'hui très sensibles aux enjeux sociaux. Je ne crois pas que le Québec soit différent de tout autre endroit où ces entreprises peuvent investir. »