Le grand patron de Pétrolia s'est montré optimiste, hier, après la diffusion d'un scénario qui laisse entrevoir le forage de 6500 puits de pétrole sur l'île d'Anticosti. Mais des experts doutent que l'industrie puisse atteindre le seuil de la rentabilité si elle obtient le feu vert du gouvernement Couillard.

Dans un document rendu public mercredi, Québec évalue que des forages pétroliers pourraient avoir lieu sur 35 à 40 % de l'île sur une période de 75 ans. Quelque 6500 puits seraient forés selon ce scénario ambitieux. Un autre scénario, plus réaliste, évalue que 3900 puits pourraient être forés sur 56 ans.

Normand Mousseau, professeur de physique à l'Université de Montréal, a coprésidé la Commission sur les enjeux énergétiques sous le gouvernement Marois. Il voit mal comment l'industrie pétrolière pourrait être rentable avec un rythme de développement aussi lent.

Le chercheur note qu'il faut bâtir un port pour desservir l'île, un réseau de transport du pétrole et une infrastructure de captation des gaz fugitifs. Tout cela au moment où les pays développés réduisent leur consommation de pétrole.

« Si on est sérieux dans la lutte aux changements climatiques, je pense qu'on n'ira pas au bout des réserves et donc, on risque de ne pas voir les prix exploser au point où certains d'entre nous - incluant moi ! - le pensions il y a quelques années », a-t-il observé.

Mais le PDG de Pétrolia, Alexandre Gagnon, est optimiste quant à un possible rebond des prix du pétrole. Selon lui, les scénarios présentés par Québec prouvent qu'Anticosti pourrait être un projet pétrolier « de calibre international ».

« Comme partenaire financier, comme opérateur et considérant qu'il y a deux compagnies publiques avec nous dans l'aventure, si ce n'était pas économique, personne ne mettrait de l'argent dans le projet », a-t-il résumé.

Le fait que la production aurait lieu sur une île est un avantage important, fait-il valoir. Contrairement à ce qui se fait au Dakota-du-Nord ou dans l'Ohio, le pétrole pourrait être chargé sur des navires au lieu d'être transporté par camion ou par train. Le gaz pourrait être expédié sur la Côte-Nord, où il stimulerait le développement industriel.

M. Gagnon convient que le potentiel de développement de l'île d'Anticosti est somme toute modeste en comparaison avec d'autres gisements en Amérique du Nord. Mais il pourrait néanmoins générer des investissements de plusieurs milliards.

Couillard prudent

Le premier ministre Philippe Couillard s'est montré prudent au sujet des scénarios d'hier. De passage à Montréal, il a souligné qu'aucune décision n'est encore prise sur l'industrie pétrolière.

« Les articles semblaient dire qu'on était des promoteurs actifs de ce projet-là, a-t-il dit. J'ai une grande prudence. Je considère [qu'Anticosti] est un des beaux milieux naturels encore vierges au Québec. Je veux être très, très prudent. »

L'étude environnementale stratégique sur Anticosti doit être terminée d'ici la fin de l'année.

- Avec la collaboration de Jean-François Bégin, La Presse

Ils ont dit

«C'est pour ça qu'on fait ces études, parce que ce sont des enjeux qui sont complexes. Vous avez vu comment le prix du pétrole varie constamment. Il faut vraiment prendre la décision la plus éclairée possible dans l'avenir.»

- Pierre Arcand, ministre des Ressources naturelles

«C'est prématuré d'avoir des conclusions définitives. Le nombre de puits dont les médias parlent ce matin [hier], la chose la plus importante à retenir, c'est que c'est sur 50 ans. La deuxième chose, c'est que les études ne sont pas complétées.»

- Pierre Karl Péladeau, chef du Parti québécois

«Ça fait une dizaine d'années qu'on sait qu'il y a un potentiel énorme. Les deux vieux partis ont traîné dans le dossier, ont écouté tous les groupes de pression. [...] On ne peut pas se payer le luxe de ne pas aller au fond des choses pour aller chercher ce pétrole.»

- François Legault, chef de la Coalition avenir Québec

«J'ai toujours pensé que ce n'était pas le Klondike.»

- Martine Ouellet, députée du Parti québécois, ancienne ministre des Ressources naturelles

«Hormis les redevances et la redistribution de la richesse aux communautés, là où Québec inc. peut aller chercher de la richesse pour de nombreuses années, c'est en créant une chaîne d'approvisionnement de fournisseurs et de sous-traitants pour l'industrie pétrolière. Plus il y a un potentiel pétrolier sur Anticosti, plus grande sera la contribution des entreprises québécoises.»

- Éric Tétrault, président des Manufacturiers et exportateurs du Québec