S'appuyant sur une clause controversée de l'ALENA, Dow Chemical exige que le Canada lui verse «au moins» 2 millions de dollars en dédommagement, pour compenser les pertes que lui a fait subir l'interdiction des pesticides au Québec.

Jugeant la décision du gouvernement québécois «arbitraire, sans fondement et injuste», la multinationale a déposé un «avis d'intention», ce qui signifie qu'elle déposera prochainement une plainte en vertu du chapitre 11 de l'Accord de libre-échange nord-américain.

 

Le litige est épineux, d'abord parce que le Canada et le Québec ne s'entendent pas sur la nocivité du produit visé par la plainte, le 2,4-D. Ensuite parce que sa dangerosité n'a pas encore été prouvée sans l'ombre d'un doute par les chercheurs.

«Les considérations sur lesquelles l'interdiction est basée, quelles qu'elles soient, ne sont pas basées sur la science», note dans le document d'une vingtaine de pages l'avocat de Dow, Paul D. Conlin, d'Ogilvy Renault.

Au coeur de la controverse se trouve donc le 2,4-D, un ingrédient qui entre dans la composition des pesticides et dont la vente est formellement interdite dans la province, selon le Code de gestion des pesticides du Québec.

«Nous avons conclu qu'il existe suffisamment de données pour nous amener à être très prudent avec ce genre de pesticides», explique Onil Samuel, responsable du groupe scientifique sur les pesticides de l'Institut national de santé publique du Québec.

Or, la conclusion est diamétralement opposée à Ottawa, car Santé Canada conclut plutôt que l'utilisation du 2,4-D est sécuritaire, à condition de suivre les indications de l'entreprise. Bien d'autres organismes, comme l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, en sont venus à des conclusions similaires.

Le Québec reconnaît qu'il existe un différend entre les deux gouvernements sur cette question, mais il rejette néanmoins les prétentions de Dow, qui soutient que son produit est sans effet sur la santé humaine.

«Certes, les chances que ce produit soit cancérigène semblent moins fortes aujourd'hui qu'elles l'étaient en 2002. Mais plusieurs organismes, comme l'EPA californienne, ont depuis placé le 2,4-D sur la liste des produits pouvant avoir un effet sur la reproduction», précise Onil Samuel.

En outre, il est très difficile de prouver la nocivité du 2,4-D, car il n'est jamais utilisé seul, précise le toxicologue. D'où l'importance de mettre de l'avant «le principe de précaution», ajoute Philippe Cannon, porte-parole de la ministre de l'Environnement, Line Beauchamp. «Nous ne changerons pas notre position», a-t-il indiqué.

Chapitre 11 de l'ALENA

Dow, pour sa part, soutient qu'en agissant de la sorte, le Québec entrave sans justification son droit de commercialiser le 2,4-D. Il contreviendrait ainsi au chapitre 11 de l'ALENA, qui oblige les gouvernements à accorder aux entreprises «un traitement juste et équitable» (art. 1105), et qui leur interdit, sous certaines conditions, d'«exproprier» un investissement effectué sur leur territoire (art. 1110).

Qu'en pense le Canada? «L'ALENA garantit le droit des États à prendre des règlements dans l'intérêt public, y compris en matière de santé publique et d'environnement concernant les pesticides», indique Renée David, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du commerce international.

«Si cette plainte est entendue, le gouvernement continuera de collaborer avec le gouvernement du Québec pour défendre nos intérêts vigoureusement», a-t-elle ajouté.

Jusqu'au bout

La procédure exige en effet le dépôt officiel d'une plainte avant que la partie visée n'ait à réagir. Mais pour Simon Potter, spécialiste du commerce international chez McCarthy Tétrault, il n'y a aucun doute que la cause sera entendue, voire qu'elle se rendra jusqu'au bout.

«Cela devrait se rendre aux jugements finaux, car les gouvernements ne voudront pas céder, de crainte d'avoir à céder ailleurs. On peut penser au bisphénol A, par exemple. La plainte soulève une question de principe très importante», a-t-il indiqué en entrevue depuis Boston.

Et en prime, ajoute Me Potter, cela relancera le débat autour de la pertinence du chapitre 11.

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