Au nord de Fort McMurray, la rivière Athabasca traverse plus de 200 km de forêt inhabitée. Puis elle débouche sur une vaste étendue d'eau douce : le lac Athabasca. C'est dans un village amérindien logé à l'extrémité de ce lac, Fort Chipewyan, que des enfants ont trouvé le mois dernier un poisson difforme dont la photo a fait le tour de la planète : une laquaiche à deux bouches.

Une aubaine pour les groupes écologistes qui tenaient justement une conférence sur la contamination de l'eau dans ce village propret de 12 000 habitants. À leurs yeux, c'était une preuve supplémentaire des séquelles que le boom pétrolier inflige aux lacs et rivières situés en aval des usines.

Des villageois rencontrés quelques jours après cette conférence n'avaient pas besoin du poisson mutant pour se convaincre que leur environnement est de moins en moins inoffensif. Depuis quelques années, des maladies graves frappent leur communauté, à une fréquence qui étonne les médecins.

Hyperthyroïdie, cancers rares, lupus : personne ne peut affirmer avec certitude que ces maladies sont causées par les rejets toxiques des pétrolières. Mais tous sont inquiets.

Prenez le cas de Grant Courtoreille, un grand gaillard de 28 ans qui a été terrassé, en janvier, par un cancer foudroyant. «Je ne suis pas sûr que Grant soit mort à cause du pétrole, mais je sais qu'il y a des maladies dans ma communauté et que le gouvernement s'en fout», dit son oncle Steve Courtoreille.

C'est le docteur John O'Connor qui, le premier, a donné l'alarme après avoir constaté une hausse inhabituelle de certaines maladies dans le village. Ce médecin qui suit le village depuis huit ans a diagnostiqué son premier cas de cholangiocarcinome en 2003, puis un second, et un troisième. Habituellement, ce cancer qui s'attaque aux voies biliaires frappe environ une personne sur 100 000...

Puis, il y a eu une étonnante série de cas d'hyperthyroïdie. « Ces maladies sont-elles attribuables au hasard ? À des problèmes génétiques ? Ou à des causes environnementales ? Je l'ignore, mais ça prendrait une étude poussée pour le découvrir», dit ce médecin selon qui cette investigation n'a jamais eu lieu.

Les organismes qui surveillent la qualité de l'eau de l'Athabasca rejettent le lien entre les maladies et l'activité pétrolière effrénée qui se déroule 200 km en amont.

Mais les groupes écologistes et les habitants de Fort Chipewyan croient que ces organismes penchent en faveur de l'industrie pétrolière.

La présidente d'un de ces organismes, Regional Aquatic Monitoring Program (RAMP), Janice Lineham, travaille pour Petro-Canada. Jointe par La Presse, elle assure que le niveau de contaminants dans la rivière Athabasca «se situe à l'intérieur d'un niveau de variation naturel». Tout comme le poisson mutant.

Les résultats de deux autres études indiquant que l'eau et les sédiments de l'Athabasca sont loin d'être au-dessus de tout soupçon ont été écartés par le gouvernement albertain. L'une de ces études évoquait un niveau élevé de HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), une substance connue pour ses propriétés cancérigènes.

Pendant que les experts jouent au ping-pong, les habitants se sentent laissés à eux-mêmes. «Nous sommes la cuvette de Fort McMurray !» s'indigne une femme atteinte de lupus.

Le conducteur de taxi qui nous fait visiter le village a sa manière à lui de voir les choses. «Si la rivière pouvait couler en sens inverse, je suis sûr que le gouvernement prendrait ces maladies au sérieux !»