Le 28 octobre, au milieu d'un champ de Saint-Denis-sur-Richelieu, la société Canadian Forest Oil a entamé des travaux de forage exploratoires dans le but de trouver du gaz de schiste. Pour l'instant, on est loin de l'eau du robinet qui prend feu ou des hectolitres de produits chimiques qui suintent du sol. Mais déjà, certains résidants vivent des nuits blanches.

Le 13 juillet 2010 en début de soirée, alors qu'il se trouvait au sous-sol de sa maison, Jean-Robert Tarte a ressenti une immense vibration. Une charge explosive, enfouie dans le sol précisément à 208 mètres à l'arrière de sa propriété, venait de détoner. «Ce que j'ai ressenti à ce moment-là est comparable à ce qu'on peut ressentir en tirant une salve de canon», raconte l'ex-militaire, qui a déjà manié les explosifs.

Un peu énervé, il a alors appelé la police, qui l'a dirigé vers l'hôtel de ville, qui à son tour l'a aiguillé vers le représentant de Forest Oil.

«C'est là qu'on m'a expliqué que des charges explosives avaient été utilisées dans le bois à l'arrière de chez moi», explique M. Tarte.

Résidant de Saint-Denis-sur-Richelieu, en Montérégie, depuis une vingtaine d'années, M. Tarte habite à environ 1 km de l'endroit où Canadian Forest Oil a disposé ses installations de forage à la fin octobre, pour y faire de l'exploration. En juillet, dans le cadre de travaux préparatoires, l'entreprise a confié à un sous-traitant de Calgary le soin de faire une série de levés sismiques dans la région, une technique qui permet d'établir une carte du sous-sol grâce à des vibrations. Normalement, des camions vibreurs sont utilisés pour ce genre de travaux. Mais dans le secteur où habite M. Tarte, inaccessible aux camions vibreurs, l'entreprise a procédé en enfouissant des charges de dynamite de 1 kg à 10 mètres de profondeur, une procédure normale, mais relativement rare.

Dommages sur sa propriété

Quelques jours après les événements, le puits d'eau potable de M. Tarte a commencé à faire défaut. De l'eau très trouble sortait des robinets.

«La vibration provoquée par l'implosion a fait décoller les résidus qui s'étaient accumulés au fil des ans dans les tuyaux du puits», croit M. Tarte. Les résidus ont fini par boucher le filtre de la pompe.

En étudiant de plus près les fondations de sa maison, M. Tarte a aussi décelé des fissures dans le béton et dans la brique qui, selon lui, n'étaient pas présentes avant le levé sismique.

En août, Canadian Forest Oil a fait nettoyer à ses frais le puits de M. Tarte, et lui a offert 500$ en dédommagement pour, entre autres, remplir son puits d'eau potable. Mais l'entreprise a refusé de payer pour les fissures dans les fondations. «C'était à moi de prouver que les dommages étaient liés aux implosions. Ils m'ont dirigé vers une entreprise spécialisée dans le datage des fissures. J'imagine que ça ne coûte pas des pinottes de faire ce genre d'expertise», lance l'homme.

Voulant clore le dossier, M. Tarte a accepté l'offre et signé une quittance qui l'empêche de faire toute autre réclamation à Canadian Forest Oil. «Ça s'est passé très vite. Le monsieur de la compagnie repartait pour Calgary le jour même. Il fallait que ça se signe là, sinon c'était reporté à on ne sait pas quand», explique-t-il.

Aucun avertissement nécessaire

Joint au téléphone à Calgary, le responsable de Forest Oil, Doug Axani, affirme que 511 personnes dont les propriétés touchaient au tracé des levés sismiques ont été rencontrées avant le début des travaux. Mais en vertu des règlements en vigueur au Québec, l'entreprise et son sous-traitant n'avaient pas à avertir M. Tarte que des explosifs seraient utilisés près de chez lui, puisque la décharge a eu lieu à plus de 200 mètres de sa propriété.

Même la municipalité de Saint-Denis-sur-Richelieu n'a pas été mise au courant du détail de l'opération, soutient le maire Jacques Villemaire, à qui La Presse a appris l'incident. «Personne ne m'a jamais dit que des charges explosives avaient été utilisées», a-t-il assuré.

Doutes sérieux

Canadian Forest Oil soutient par ailleurs qu'une charge de dynamite de 1 kg plantée à 10 mètres de profondeur ne dégage pas assez d'énergie pour provoquer des dommages à un immeuble. Ces affirmations sont corroborées par un consultant indépendant vers qui La Presse s'est tournée. «Avant de faire craquer le solage, une implosion ferait craquer le placoplâtre de la maison», affirme ce c nsultant, qui a demandé qu'on taise son nom.

Jean-Robert Tarte reste malgré tout convaincu du contraire. «La compagnie a agi de façon totalement cavalière. Si au moins j'avais su à l'avance qu'il y aurait des implosions à quelques mètres de chez moi, j'aurais inspecté ma maison un peu avant. Au moins, j'aurais eu une preuve. Mais c'est plus simple pour eux de me mettre le fardeau de la preuve sur les épaules. Et là, je suis coincé. J'ai signé pour me débarrasser de ce problème au plus vite.»

Des installations destinées au forage exploratoire ont été érigées par la société Canadian Forest Oil dans un champ de Saint-Denis-sur-Richelieu, en Montérégie.