L'industrie du gaz de schiste manque de transparence et d'initiative sur les questions de sécurité et de santé, et le gouvernement n'obtiendra pas l'acceptation sociale du projet s'il ne le soumet pas à une évaluation environnementale stratégique.

C'est en résumé l'avis de trois experts choisis par le Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour l'éclairer sur les questions en matière de santé et de sécurité de même que sur les impacts sociaux de cette industrie.

«On a mentionné qu'on voulait "faire du cash", a déclaré Jean-Paul Lacoursière, ingénieur et professeur de génie chimique à l'Université de Sherbrooke. Alors, il va falloir investir du cash en inspection et en surveillance. Tout ça doit se faire avec les citoyens, avec les autorités en place.»

La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a employé l'expression «faire du cash» à l'émission Tout le monde en parle diffusée dimanche.

Selon M. Lacoursière, avant de songer au profit, il faut s'assurer de l'existence d'une «culture de sécurité et de protection de l'environnement» dans l'industrie et au gouvernement. À défaut, «le profit conduit à la ruine». Il cite l'exemple du naufrage de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, qui a causé la pire marée noire de l'histoire des États-Unis dans le golfe du Mexique.

Plans d'urgence

Il ajoute que l'industrie aurait avantage à concevoir des plans d'urgence et des études d'impacts pour à chaque exploitation.

Selon le ministère des Ressources naturelles, la future réglementation obligera les entreprises à présenter des plans d'urgence aux municipalités. À défaut d'équipement dans les petites localités, les municipalités voisines viendraient en renfort. Des équipements spécialisés feraient leur apparition dans la province.

Selon une simulation réalisée par M. Lacoursière, un incendie dans un puits de gaz pourrait causer des brûlures au deuxième degré aux personnes situées dans un rayon de 110 m.

De leur côté, les responsables de la santé publique ont indiqué qu'ils n'avaient pu obtenir de l'industrie tous les renseignements utiles pour l'évaluation des risques pour la santé.

«Il y a de l'information qu'on n'a pas pu avoir pour des raisons de confidentialité et d'accès à l'information, a dit Jean-Pierre Vigneault, coordonnateur en santé du travail et en santé et environnement à la Direction de santé publique de Chaudière-Appalaches. Pour les produits chimiques, on a les ingrédients, mais on n'a pas la recette. On ne connaît pas non plus le rythme de croissance de l'industrie.»

Préoccupations

Cela n'a pas empêché les spécialistes de la santé d'exprimer certaines préoccupations. Ils estiment qu'il y a des cas possibles de contamination de l'eau dans quatre États: au Colorado, au Wyoming, au Texas et en Pennsylvanie. Il y a aussi des risques de pollution de l'air, que ce soit par les appareils de forage, les bassins de stockage ou les torchères. Il ne faut pas négliger les risques psychologiques liés aux nuisances.

M. Vigneault a aussi insisté sur le peu d'information qu'on a fournie avant de lancer les audiences du BAPE. «D'habitude, on part avec un projet concret, dit-il. On aurait aimé être plus précis dans nos recommandations.»

Il ajoute que le Québec sera privé d'un avis important si l'encadrement de l'industrie est fixé avant la publication, en 2012, d'une étude de l'agence américaine de protection de l'environnement (EPA) au sujet de l'industrie du gaz de schiste. «Il est entendu que ce rapport serait très éclairant», dit M. Vigneault.

«Il faut avancer avec prudence, a résumé M. Vigneault. Il y a beaucoup de dangers connus.»

L'industrie a rétorqué qu'aucune étude n'a montré que l'industrie pétrolière et gazière avait un impact néfaste sur la population ou les travailleurs, sans toutefois fournir au BAPE un document référencé. «Il faut s'assurer que les citoyens aient de l'information pour qu'ils puissent faire la différence entre les perceptions et les faits, a affirmé Dollis Wright, experte engagée par l'industrie. Dans tous les cas que j'ai passés en revue, le risque perçu était sans fondement scientifique.»

Selon la troisième experte, Christiane Gagnon, spécialiste de l'impact social des projets industriels et professeure à l'Université du Québec à Chicoutimi, on ne peut envisager d'acceptabilité sociale sans information, et cette information manque toujours.

«Il serait préférable de faire une évaluation environnementale stratégique, comme c'est une industrie multisites et multipromoteurs, a-t-elle dit. Il faut accompagner les municipalités et les populations afin d'augmenter leurs capacités d'évaluation et de gestion. C'est une question de justice environnementale.»

Le gouvernement a commandé une évaluation environnementale stratégique au sujet de l'exploration pétrolière et gazière dans l'estuaire du Saint-Laurent. Un moratoire a été imposé dans l'intervalle et, finalement, le moratoire est devenu interdiction le mois dernier.