Le gouvernement Trudeau imposera une taxe carbone de 10 $ la tonne dans les provinces qui n'auront pas adopté une forme de tarification du carbone à partir de 2018.

Cette taxe sera majorée de 10 $ la tonne par année par la suite pour atteindre le prix plancher de 50 $ à compter de 2022, a indiqué le premier ministre Justin Trudeau dans un discours à la Chambre des communes alors qu'il lançait le débat sur la ratification de l'Accord de Paris sur les changements climatiques.

Les provinces telles que la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse, qui n'ont aucune forme de tarification du carbone, auront deux ans pour adopter leur propre plan à défaut de quoi elles se verront imposer une taxe par Ottawa. Ces deux provinces ont toutefois claqué la porte de la conférence canadienne des ministres de l'Environnement, en après-midi lundi.

Des provinces comme le Québec et l'Ontario, qui ont préféré se donner une bourse du carbone au lieu d'une taxe pour inciter les entreprises à réduire leur empreinte environnementale, ne seront pas touchées par la taxe fédérale. Toutefois, elles devront démontrer que leur plan contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre et s'engager à se donner des objectifs de réduction plus ambitieux au fil des années.

Le premier ministre québécois Philippe Couillard s'est réjoui de la décision d'Ottawa de ne pas imposer son modèle aux provinces qui préfèrent participer à un marché du carbone. «L'annonce reconnait l'autonomie (des provinces) et la flexibilité dans la fédération pour que chaque formule puisse aller de l'avant, que ce soit une taxe, comme certains le font, ou un marché du carbone» comme celui du Québec, a-t-il affirmé.

M. Couillard continue néanmoins de croire que le marché du carbone est préférable à une taxe. «Il est à notre avis beaucoup moins négatif sur l'économie qu'une taxe puisse l'être. Et la bonne nouvelle, c'est que l'Ontario se joint au marché du carbone, le Mexique est intéressé, la Chine va avoir un marché national prochainement. Ce qui progresse sur la planète, c'est le marché du carbone, et le Québec a de quoi s'en réjouir», a ajouté le premier ministre québécois. 

«Après des décennies d'inaction, après des années d'opportunités manquées, nous allons finalement prendre des mesures concrètes et réelles pour bâtir une économie propre, créer plus d'opportunités pour les Canadiens, et faire de notre monde, un monde meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants. (...) Nous n'allons pas bouder la science et nous ne repousserons pas l'inévitable. Avec le plan mis de l'avant par le gouvernement, toutes les juridictions canadiennes auront tarifié la pollution causée par le carbone d'ici 2018», a déclaré Justin Trudeau dans son discours.

M. Trudeau a précisé que les revenus générés par la taxe carbone dans les provinces qui ont refusé d'imposer une tarification leur seront remis par Ottawa pour qu'elles puissent utiliser cette somme d'argent comme elles l'entendent.

«Les provinces et les territoires pourront choisir la façon dont ils mettront en oeuvre ce tarif. Ils pourront appliquer directement un tarif sur la pollution causée par le carbone, ou ils pourront adopter un système de plafond d'échange d'émissions dans la perspective que celui-ci soit assez strict pour rencontrer ou dépasser le prix plancher fédéral», a-t-il indiqué.

La Colombie-Britannique et l'Alberta ont déjà adopté une taxe carbone. En Colombie-Britannique, cette taxe, qui est entrée en vigueur en 2008, s'élève aujourd'hui à 30 $ la tonne et la première ministre de la province, Christy Clark, a déjà admis que son gouvernement devra l'augmenter au cours des prochaines années afin d'accentuer la lutte contre les changements climatiques.

En Alberta, la taxe carbone doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017. Cette taxe s'élèvera à 20 $ par tonne et passera à 30 $ en 2018. Le gouvernement albertain prévoit aussi éliminer progressivement le recours à l'électricité générée par le charbon d'ici 2030.

Le Canada, qui a raté jusqu'ici tous ses objectifs de réduction de GES, s'est engagé à réduire de 30 % ses émissions d'ici 2030 par rapport à 2005 dans le cadre de l'Accord de Paris.

«Fixer une tarification sur la pollution causée par le carbone nous donnera un avantage important alors que nous bâtissons une économie à croissance propre. Une tarification raisonnable et prévisible sur la pollution causée par le carbone encouragera l'innovation parce que les entreprises devront trouver de nouvelles façons de réduire leurs émissions et de moins polluer. Cela rendra aussi nos entreprises plus compétitives. L'économie mondiale est de plus en plus propre et le Canada ne peut pas se permettre de rester à la traîne», a affirmé le premier ministre dans son discours.

Le Parti conservateur a vertement dénoncé cette mesure, accusant le premier ministre d'imposer unilatéralement une taxe qui pourrait mettre en péril une économie qui est déjà vacillante. «C'est cela le fédéralisme de coopération du gouvernement libéral», a tonné le député conservateur Ed Fast, critique de son parti en matière d'environnement.

Le Canada s'est finalement retiré du protocole de Kyoto quand les conservateurs de Stephen Harper étaient au pouvoir.

Le NPD s'est pour sa part demandé si l'annonce du premier ministre connaîtra le même sort que le protocole de Kyoto, signé par le gouvernement libéral de Jean Chrétien en 1997. Même s'il avait signé ce protocole, le gouvernement Chrétien n'a jamais élaboré un plan précis pour respecter ses engagements de réduction des émissions de GES.

Le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, a déjà fait savoir qu'il s'oppose farouchement à une taxe carbone, affirmant qu'il serait très problématique et difficile pour sa province d'imposer une telle taxe étant donné l'importance de ses exportations de produits de base.

La ministre de l'Environnement, Catherine McKenna, rencontre ses homologues des provinces aujourd'hui à Montréal afin de discuter des grandes lignes d'un plan national doit permettre au Canada de respecter ses engagements internationaux en matière de réduction de ses émissions de GES.

Le premier ministre Justin Trudeau compte rencontrer ses homologues provinciaux les 8 et 9 décembre afin de mettre la touche finale au plan canadien de lutte contre les changements climatiques.

- Avec Tristan Péloquin à Montréal

La tarification du carbone en quatre points

Pourquoi établir un prix sur le carbone?

La tarification du carbone vise à inciter les entreprises et les particuliers à réduire leurs émissions de CO2. Le coût peut être fixé selon une taxe ou un système de plafonnement et d'échange - communément appelé bourse du carbone. Le gouvernement fédéral a choisi de fixer le prix minimum à 10 $ pour la tonne de carbone, tarif qui entrera en vigueur en 2018.

Quelles provinces ont déjà un système de tarification en place?

La Colombie-Britannique a une taxe sur le carbone depuis 2008. Son taux est pour l'heure fixé à 30 $ la tonne, ce qui se traduit, concrètement, par une taxe de 6,67 cents sur chaque litre d'essence et de 7,67 cents sur chaque litre de diesel vendu dans la province. La province de l'ouest a annoncé, en août, qu'elle maintiendra ce tarif jusqu'à ce que celui d'autres juridictions atteigne le même niveau.

En Alberta, une tarification de 20 $ la tonne doit entrer en vigueur l'an prochain, selon ce que le gouvernement de la province a annoncé en novembre dernier. Ce taux s'élèverait à 30 $ la tonne en 2018.

Dans les deux provinces, la taxe s'applique tant à l'essence qu'au diesel, au gaz naturel et au propane.

Quelles provinces ont opté pour un autre système?

Le Québec s'est joint au marché de plafonnement et d'échange avec la Californie, en 2014. L'Ontario entend faire de même l'an prochain. De tels systèmes imposent des limites d'émissions aux entreprises. Une bourse du carbone est ensuite mise en place, permettant aux entreprises de vendre ou d'acheter leurs permis d'émissions respectifs. Les coûts se répercutent ensuite sur les consommateurs.

Le gouvernement fédéral demande aux provinces qui optent pour un tel modèle de s'aligner avec le prix du carbone fixé par Ottawa. Ainsi, les limites d'émissions provinciales doivent s'arrimer avec les cibles nationales de réduction de gaz à effet de serre (GES).

Le Québec et l'Ontario s'enlignent déjà pour atteindre l'objectif d'Ottawa, soit celui d'une baisse de 30 pour cent, d'ici 2030, des émissions de 2005. Dans cette optique, ces deux provinces risquent d'être peu touchées par les mesures du gouvernement Trudeau.

Où va l'argent?

Dans le cas des provinces qui ont choisi de fixer une taxe sur le carbone, les prélèvements reviennent à chacune d'entre elles. Le fédéral entend aussi renvoyer l'argent qu'il prélèvera aux provinces et aux territoires en fonction de la provenance des émissions.

La Colombie-Britannique a toutefois mis en place un système neutre en termes de recettes. Selon un tel modèle, les revenus de taxation du carbone servent à diminuer les impôts et les crédits plutôt que d'aller directement au gouvernement de la province.

En Alberta, une partie de la somme perçue doit aller aux consommateurs à faibles revenus, sous forme de remboursements. Les impôts des petites entreprises sont par ailleurs passés de trois à deux pour cent afin de compenser les nouveaux coûts qu'elles devront payer.

Environ les deux tiers des revenus générés en Alberta par la tarification du carbone doivent par ailleurs servir à financer des projets visant à diversifier l'économie de la province, notamment des initiatives en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique.

- La Presse canadienne