Urbains contre ruraux, Québec contre Alberta, industrie pétrolière contre industrie manufacturière: les clivages sur la question climatique sont un casse-tête pour le gouvernement Trudeau. Mais un consensus est possible, selon Erick Lachapelle, politologue à l'Université de Montréal et coauteur d'une nouvelle recherche sur la question: «Il y a une pluralité de gens partout au pays qui reconnaissent le problème et qui croient dans les solutions. Alors le message aux politiciens, c'est qu'il y a une certaine marge de manoeuvre.»

Seul le Québec adhère au consensus scientifique

Le consensus scientifique est clair : l'activité humaine est actuellement la principale cause du réchauffement climatique. Aucun facteur naturel - que ce soit l'activité solaire ou volcanique - ne peut expliquer le réchauffement observé depuis 150 ans. Malgré tout, la population canadienne n'adhère pas majoritairement à ce consensus scientifique, sauf au Québec. En effet, seulement 44 % des Canadiens - mais 53 % des Québécois - croient que « la planète se réchauffe surtout en raison de l'activité humaine ». Le chiffre est de 28 % en Alberta. Il faut creuser un peu pour trouver une affirmation plus consensuelle. En effet, 61 % des Canadiens croient que la « planète se réchauffe en partie ou surtout en raison de l'activité humaine ». Dans ce cas, près de la moitié des Albertains (47 %) sont d'accord, et plus des deux tiers (68 %) des Québécois. Enfin, la réalité du réchauffement climatique, peu importe sa cause, semble bien comprise : 79 % des Canadiens sont d'accord avec l'énoncé : « la planète se réchauffe », dont 85 % de Québécois et 67 % d'Albertains.

Accord possible sur les solutions

On ne s'entend peut-être pas sur les causes, mais il y a de l'espoir pour les solutions. En effet, il y a une forte majorité d'appuis à l'instauration d'un marché du carbone dans toutes les provinces canadiennes, y compris en Alberta. Cet appui est fort même dans les circonscriptions où une forte proportion de la population refuse le consensus scientifique sur l'influence de l'humain sur le climat. Pourquoi être favorable à une solution si on ne reconnaît pas le problème ? « L'être humain est complexe et n'est pas à l'abri des contradictions, répond le politologue Erick Lachapelle. Une hypothèse possible : les gens savent que l'industrie pétrolière sera en difficulté tant que le Canada n'aura pas agi de manière crédible en matière de lutte contre les changements climatiques. C'est une question d'accès au marché. Alors ils sont en faveur d'une politique publique qui va permettre à leur économie de prospérer. » Par ailleurs, l'idée d'une taxe carbone suscite 49 % d'appuis au Canada, contre 44 % d'opposition.



Photo Paul Chiasson, archives La Presse Canadienne

Erick Lachapelle, politologue à l’Université de Montréal

Climat des villes et climat des champs

Sur les changements climatiques, les opinions diffèrent grandement selon que l'on habite en ville ou à la campagne. Selon les données de l'étude, en milieu rural, on a plus tendance à douter de l'influence de l'humain sur le climat et on appuie moins fortement les politiques comme la taxe carbone ou le marché du carbone. Mais pourquoi ce clivage ? « Il y a plusieurs raisons, répond le politologue Erick Lachapelle. Les habitants des villes ont tendance à être plus jeunes et éduqués. Les progressistes ont tendance à habiter en ville. C'est là aussi qu'on trouve le plus de professionnels. Il y a aussi un élément de dissonance cognitive. Si on travaille dans une industrie qui est très intensive en carbone ou si on est très dépendant de l'automobile pour ses déplacements et qu'on veut bien croire les scientifiques, il faut changer son mode de vie pour être en accord avec ses opinions. C'est plus facile à faire en ville, avec les transports en commun par exemple, qu'en milieu rural. »

Climat, politique et religion

L'étude publiée hier par Erick Lachapelle et ses collègues américains utilise pour la première fois au Canada une méthodologie créée aux États-Unis. Elle s'appuie sur une série de quatre sondages traditionnels réalisés entre 2011 et 2015 auprès de plus de 5100 répondants. Mais les chercheurs ont utilisé des « types sociodémographiques » afin de prédire l'opinion de la population sur le climat dans chacune des 334 circonscriptions électorales canadiennes. Selon les chercheurs, en plus de la province de résidence, quatre critères permettent de prédire à plus ou moins 7 % près l'opinion d'une circonscription sur les questions climatiques. Ces critères sont la proportion de la population qui se déplace chaque jour en voiture, qui travaille pour une industrie extractive (pétrole, gaz ou mines), qui a voté pour le Parti conservateur en 2011... et qui s'identifie à la foi chrétienne. Sur ce dernier critère, l'auteur principal de la recherche, Matto Mildenberger, de l'Université de Californie à Santa Barbara, insiste : ce n'est pas un lien causal. « On ne prétend pas qu'une certaine croyance religieuse va influencer votre opinion sur les changements climatiques, dit-il. C'est strictement prédictif. Par exemple, aux États-Unis, le pourcentage de ménages composés de conjoints du même sexe dans une localité est un très bon critère prédictif sur une foule de sujets. C'est une indication du caractère libéral ou pas de la population de cette localité. Mais ça ne veut pas dire qu'être gay change votre opinion sur une question précise. »



Source: Sondage canadien sur l'énergie et l'environnement et projet Cartes de l'opinion publique canadienne sur le climat (COPCC); Mildenberger, M., Howe, P.D., Lachapelle, E., Stokes, L.C., Marlon, J., et Gravelle, T. «The distribution of climate change public opinion in Canada» (15 février 2016).