La manipulation artificielle du climat pour combattre le réchauffement n'est plus un sujet tabou en dépit d'incertitudes et de risques potentiels majeurs, regrette le philosophe du climat Clive Hamilton, qui juge «urgent» d'encadrer la recherche en la matière.

«Le génie est sorti de la bouteille et il n'y a aucune possibilité de l'y renvoyer», souligne dans un entretien à l'AFP l'auteur du livre Les apprentis sorciers du climat, paru dans la nouvelle collection Anthropocène au Seuil. Un livre où ce chercheur australien détaille les technologies imaginées depuis quelques années pour tenter de réduire les effets du réchauffement climatique.

Certaines propositions, comme envoyer dans l'espace des miroirs géants pour renvoyer les rayons solaires ou agrandir l'orbite terrestre pour éloigner notre planète du soleil, restent du domaine de la science-fiction.

D'autres, moins fantaisistes, sont examinées de près par quelques scientifiques.

Certains proposent par exemple de disperser des particules dans la haute atmosphère pour refléter vers l'espace davantage de rayons entrants du soleil et donc refroidir la planète en empêchant une partie de chaleur solaire de parvenir jusqu'à nous. D'autres imaginent de «fertiliser» les océans avec du fer pour doper le développement d'algues et accroitre l'absorption du dioxyde de carbone (CO2).

Si aucune n'est mise en oeuvre à grande échelle, la recherche en géo-ingénierie est aujourd'hui croissante, financée par des milliardaires comme Bill Gates, défendue par des think tanks influents aux États-Unis et guettée par des grandes entreprises, explique Clive Hamilton, professeur en éthique publique à Canberra, qui vient de passer deux mois à Sciences-Po à Paris.

C'est le chimiste néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel en 1995 pour ses travaux sur la couche d'ozone qui a «ouvert les vannes» en 2006 en plaidant pour un sujet jusqu'alors «tabou», rappelle-t-il. «En dépit des objections de beaucoup de ses collègues, il a écrit cet article car il a ressenti fortement la nécessité d'un plan B sachant que le plan A, celui de réduire les émissions, ne fonctionnait pas».

Un pas supplémentaire a été franchi en septembre dernier avec, pour la première fois, l'évaluation de certaines techniques dans le nouveau rapport de référence du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Le GIEC «naïf»

Un pas prudent mais un pas de trop, selon Clive Hamilton: «Le GIEC a fait une erreur.»

«Le GIEC a été politiquement naïf: indépendamment de ce qu'il va dire sur la géo-ingénierie, le simple fait de l'inclure comme une réponse possible au changement climatique la légitime et la normalise. Cela va autoriser des responsables politiques à commencer à en parler publiquement alors que, pour le moment, aucun gouvernement ne parle de géo-ingénierie car il serait alors sévèrement critiqué pour essayer d'échapper à ses responsabilités de réduire les émissions», regrette le philosophe australien.

D'autant que, sur le papier, peu d'obstacles empêchent la mise en oeuvre d'une technologie comme la dispersion d'aérosols soufrés dans la haute atmosphère, revenant à «imiter» artificiellement l'effet d'une éruption volcanique: en théorie, «cela pourrait être fait rapidement, à faible coût et pourrait être efficace en quelques mois», redoute Clive Hamilton.

Le chercheur met quant à lui en avant les nombreuses inconnues et les risques potentiels liés à une telle dispersion de particules. Et si cela permettait, toujours en théorie, de contenir la hausse du thermomètre, cela n'aurait aucune influence sur d'autres dimensions comme l'acidification croissante des océans due au CO2.

En septembre, le GIEC a également souligné qu'une telle technologie pourrait avoir des effets secondaires, comme amplifier dans certaines régions les modifications des précipitations.

«La question urgente est donc de savoir comment gouverner et réguler la recherche, car il n'existe aujourd'hui aucune loi pour empêcher un gouvernement ou même un milliardaire de commencer à manipuler le climat mondial...», souligne Clive Hamilton. D'après lui, si le sujet reste confidentiel aujourd'hui, il sera connu «d'au moins 50 % des gens d'ici 2020».