Louis Fortier l'avait vu venir, mais il ne croyait pas le voir de son vivant. «Le GIEC prévoyait ça pour 2050 à 2100, dit l'éminent océanographe de l'Université Laval. Ces prévisions sont dépassées. La banquise va disparaître d'ici à 2020, peut-être 2015.»

En effet, le GIEC, le Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat, devra revoir ses prévisions sur la fonte de la banquise dans l'océan Arctique.

Cette semaine, la diminution du couvert de glace a fracassé son record précédent, établi en 2007. Alors que l'automne s'amorce, il ne reste plus que 3,4 millions de kilomètres carrés de glace sur l'océan Arctique. C'est la moitié moins que la moyenne des années 1979-2000, précise Walt Meier, du National Snow and Ice Data Center (NSIDC), le laboratoire américain de surveillance de la banquise, rattaché à la NASA et à l'Université du Colorado à Boulder. Ce laboratoire collige les données satellites depuis 1979.

Dès 2010, M. Fortier sentait que quelque chose clochait, quand il naviguait dans l'océan Arctique à bord du brise-glace de recherche Amundsen. «On traversait la banquise comme de la crème glacée», dit-il en entrevue avec La Presse.

Dans l'Arctique, on le sait depuis longtemps, le réchauffement s'accélère. La région se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne de la planète. Mais cette année, c'est un peu comme si on avait laissé la porte du congélateur ouverte.

Au-delà des chiffres, l'Arctique d'aujourd'hui est méconnaissable, selon M. Meier. «Il n'y a presque plus de glace pluriannuelle, celle qui survit d'une année à l'autre, a-t-il dit au cours d'un entretien. Avant, il y avait une immense étendue de glace pluriannuelle qui recouvrait tout le pôle, presque d'un seul morceau. Aujourd'hui, il ne reste que des fragments de 1 ou 2 kilomètres empilés le long de la côte du Groenland et de l'archipel arctique canadien.»

Cette perte de glace dure et épaisse est encore plus significative que le recul de la superficie glacée, selon M. Fortier. «Si on regarde seulement l'étendue, c'est une baisse de 50%, mais si on regarde le volume de la banquise, on arrive à 82% de baisse», dit-il.

M. Meier n'exclut pas que la banquise rebondisse au cours de prochaines années, mais la tendance lourde est bien installée.

La rapidité de ces changements ne tardera pas à avoir des répercussions dans la zone tempérée, selon les plus récentes recherches.

«L'Arctique agit comme le climatiseur de la planète, dit M. Meier. L'eau libre absorbe 90% de la chaleur du soleil, mais la glace au contraire reflète 90% de cette chaleur. Si on enlève la glace, c'est comme si on retirait le réfrigérant du climatiseur.»

On entre donc dans un monde nouveau, où les systèmes climatiques qui déterminent la météo ne se comporteront plus de la même manière. Et ce, plusieurs décennies avant ce qu'avaient prédit les modèles climatiques.

La banquise arctique est née il y a environ 40 millions d'années. Elle n'a pas été aussi chétive depuis au moins 1450 ans et probablement même depuis environ 6000 ans, selon les plus récentes recherches, basées sur l'analyse de sédiments et d'autres témoins géologiques.

Sa disparition influence déjà le climat de tout l'hémisphère Nord, croit Jennifer Francis, de l'Institut des sciences marines et côtières de l'Université Rutgers, au New Jersey. En janvier dernier, elle a publié avec des collègues une recherche montrant que si l'Arctique se réchauffe plus vite que les tropiques, les zones tempérées vont connaître plus d'extrêmes.

Et l'année 2012 est loin de lui donner tort. «Nous mettons nos bases de données à jour avec les observations météo de cette année et les modèles semblent se confirmer, affirme Mme Francis. On a certainement eu beaucoup de temps extrême cette année, avec la sécheresse aux États-Unis et le mauvais temps persistant en Europe.»

Tout cela pourrait être dû au ralentissement du courant-jet, explique-t-elle. Le courant-jet est un fort vent qui ceinture l'hémisphère Nord, aux latitudes tempérées. Comme on le montre régulièrement dans les bulletins météo, il sépare les masses d'air froides de l'Arctique et les masses d'air chaudes des tropiques.

La force du courant-jet dépend de la différence de température entre les tropiques et les pôles. Plus cette différence est faible et moins le courant est fort. Un peu comme une rivière qui se perd en grands méandres, le courant-jet devient paresseux. Et la météo se bloque.

«Tout ce que nous avons connu comme météo cette année est en accord avec un ralentissement du courant-jet, dit Mme Francis. Et on peut dire que l'hiver prochain sera intéressant.»